Actualité jurisprudentielle du droit du travail – Avril / Mai 2021

Décisions évoquées : Cour d'Appel de PARIS, 1er avril 2021, n°20/12.215 ; Cour de Cassation, Chambre Sociale, 14 avril 2021, n°20-12.920 ; Cour de Cassation, Chambre Sociale, 14 avril 2021, n°19-12.180 ; Cour d’Appel de RIOM, 27 avril 2021, n°19/00903 ; Cour de Cassation, Chambre Sociale, 5 mai 2021, n°19-25-699 ; Cour de Cassation, Chambre Sociale, 5 mai 2021, n°20-12.092 ; Cour de Cassation, Chambre Sociale, 5 mai 2021, n°19-14.295 ; Tribunal Judiciaire de Nanterre, 7 mai 2021, n°21/00826 ; Cour de Cassation, Chambre Sociale, 12 mai 2021, n°20-10.796 ; Cour de Cassation, Chambre Sociale, 12 mai 2021, n°19-23.428

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Les difficultés d’organisation résultant de l’absence de certains salariés ne permettent pas à l’employeur d’imposer aux autres collaborateurs des jours de congés payés et de RTT, dans le cadre des dérogations ouvertes par les Ordonnances COVID (CA de PARIS, 1er avril 2021, n°20/12.215).

La crise du COVID 19 a poussé le Gouvernement à simplifier considérablement le régime des congés du salarié (congés payés et RTT) en permettant à l’employeur d’imposer jusqu’à une semaine de repos, lorsque l’entreprise est confrontée à des difficultés économiques (Ordonnance du 25 mars 2020, n°2020-323).  

S’engouffrant dans la brèche, de nombreuses entreprises ont profité de ce régime dérogatoire pour ajuster leur main-d’œuvre face aux pics d’activité, en étalant les congés sur des périodes de l’année durant lesquelles l’activité était moindre.

Tel fut le cas d’une entreprise qui par note de service a pris l’initiative d’imposer des congés, alors même que ses résultats enregistrés ne témoignaient de l’existence d’aucune difficulté économique.

L’employeur invoquait la nécessité de recourir à cette procédure pour pallier l’absence d’un certain nombre de collaborateurs ne pouvant être placés en télétravail, et bénéficiant du chômage partiel.

Un syndicat a saisi le juge des référés pour demander la suspension de la mesure du fait de l’existence d’un trouble manifestement illicite.

Saisie de la question, la Cour d’appel de PARIS est venue restreindre cette possibilité d’imposer des jours de congés et a rappelé que les difficultés d’organisation ne pouvaient être entendues comme une situation justifiant à elle seule l’utilisation de cette procédure exceptionnelle.

La Société étant dans l’incapacité de démontrer l’existence de difficultés de trésorerie, elle ne pouvait donc recourir à cette prérogative.


L’employeur qui met à pied son salarié, à titre conservatoire, doit déclencher au plus vite la procédure de licenciement (Cass, Soc. 14 avril 2021, n°20-12.920).

La mise à pied à titre conservatoire est un mécanisme qui permet à l’employeur d’écarter immédiatement le salarié de l’entreprise, sans le rémunérer, en attendant de procéder à son licenciement pour faute grave ou lourde.

En principe, cette prérogative doit être justifiée par la protection des intérêts de l’employeur face à un collaborateur ayant commis des faits d’une particulière gravité.

Elle se distingue ainsi de la mise à pied disciplinaire, qui revêt le caractère de sanction, et qui est donc prise en dehors d’un contexte de licenciement.

Compte tenu de la violence de ses effets (le salarié étant privé de rémunération), la mise en œuvre d’une mise à pied conservatoire est encadrée strictement par le juge.  

Dans un arrêt du 14 avril 2021, la Chambre sociale de la Cour de cassation a ainsi jugé que lorsque l’employeur mettait à pied son salarié à titre conservatoire, il devait déclencher la procédure de licenciement dans les meilleurs délais.

À défaut d’être diligent, la mise à pied doit ainsi être considérée comme abusive et revêt alors le caractère de sanction.

L’employeur ne pouvant sanctionner deux fois le salarié pour les mêmes faits, la Cour de cassation a jugé que le licenciement prononcé devait être considéré comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Il sera intéressant de préciser que le délai raisonnable est apprécié de manière très restrictive par les juges, puisqu’en l’espèce, l’employeur n’avait attendu que 7 jours pour déclencher la procédure de licenciement à la suite de cette mise à pied conservatoire.

En revanche, dans certaines autres procédures, un délai de 3 jours avait été considéré comme raisonnable.

Le message est donc clair pour les employeurs, qui doivent faire preuve de prudence et ne pas hésiter à déclencher la mise à pied conservatoire de manière concomitante à la convocation du salarié à un entretien préalable.


Accepter la sanction de rétrogradation ne signifie pas pour autant renoncer au droit de la contester ultérieurement (Cass, Soc. 14 avril 2021, n°19-12.180).

La rétrogradation, parfois considérée comme la sanction symboliquement la plus sévère, ne peut être imposée au salarié sans son consentement.

Il s’agit en effet d’une modification du contrat de travail qui nécessite, malgré son caractère de sanction, l’accord du salarié.

Dans cet arrêt du 14 avril 2021, la Chambre sociale de la Cour de cassation est venue préciser que si le salarié devait impérativement donner son accord pour se voir appliquer une rétrogradation, cet accord n’empêchait pas pour autant celui-ci de contester, a posteriori, le bien-fondé et la proportionnalité de la sanction devant le juge.

La Cour de cassation confirme donc qu’une rétrogradation infondée peut être remise en cause, et être annulée par le juge, même si le salarié a expressément consenti, par la signature d’un avenant à son contrat de travail, à son nouveau poste de travail et à sa nouvelle rémunération.

En maintenant ce contrôle par les juges du fond du bien-fondé de cette sanction, la Cour de cassation entend éviter la mise en œuvre de rétrogradations abusives, fondées sur des motifs insuffisants ou inexistants, qui serviraient à exercer une pression sur le salarié pour lui imposer une modification de ses fonctions et de sa rémunération.

Rappelons ainsi qu’en pratique, le refus de rétrogradation par le salarié autorise l’employeur à remplacer cette sanction par une mesure de licenciement, ce qui a d’ailleurs été rappelé récemment par la Cour de cassation (Cass, Soc. 10 février 2021, n°19-20.918).


Reconnaissance d’un accident du travail : importance de la cohérence des déclarations réalisées auprès de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CA de RIOM, 27 avril 2021, n°19/00903).

Dans cet arrêt, la Cour d’appel de RIOM a rendu une décision défavorable à l’encontre d’un salarié qui avait déclaré un accident du travail, mais en livrant une version pour le moins contradictoire des faits.

La CPAM avait alors refusé de reconnaître cet accident du travail, le salarié ayant donné des dates différentes, avec un écart de dix jours, entre sa déclaration et son audition par la Caisse.

Il avait également communiqué une attestation d’un prétendu témoin, rédigée près de dix mois après les faits.

En l’absence de témoignages suffisamment probants de l’accident, et compte tenu des incohérences relevées, la Cour d’appel de RIOM a suivi la position de la CPAM.

Dans cette affaire, les juges du fond, confrontés à un doute légitime sur le caractère professionnel de l’accident, ont donc préféré, pour éviter d’être victimes d’une supercherie, rejeter la demande du salarié.

Il en ressort qu’en matière d’accident du travail, et en l’absence de témoins des faits, les salariés doivent donc être particulièrement rigoureux dans leurs déclarations : à cet égard, le fait de reporter par écrit, immédiatement après l’accident, les circonstances de celui-ci, constitue un moyen efficace de sauvegarder ses droits.


Pour imposer aux salariés l’application d’un code de déontologie, il convient de respecter la procédure de mise en place d’un règlement intérieur (Cass, Soc. 5 mai 2021, n°19-25-699).

Il est souvent d’usage en entreprise d’imposer des règles qui viennent s’additionner au règlement intérieur et de leur donner une dénomination plus moderne (code de bonne conduite, code de déontologie, ou encore charte éthique).

Mais quelle est la valeur juridique de ces règles ? Tout contournement de celles-ci par le salarié peut-il entraîner une sanction ?

Cet arrêt nous rappelle que l’employeur qui souhaite imposer à ses salariés des règles de bonne conduite susceptibles d’entraîner, en cas de non-respect, des sanctions disciplinaires, doit impérativement donner à celles-ci la valeur d’un règlement intérieur.

Il en est ainsi concernant un code de déontologie, en l’espèce celui applicable aux salariés des prestataires de service d’investissement.

Dès lors que, comme le règlement intérieur, le document a bien été soumis (i) à avis du Comité Social et Economique (ex-Comité d’entreprise), (ii) communiqué à l’inspecteur du travail, et (iii) déposé au greffe du Conseil de Prud’hommes, il emporte force obligatoire vis-à-vis des salariés, qui pourront être sanctionnés en cas de violation de celui-ci.

Il conviendra de préciser que peu importe, finalement, la dénomination donnée aux règles imposées par l’employeur : la Cour de cassation vient intégrer celles-ci au règlement intérieur dès lors qu’elles respectent la procédure évoquée ci-dessus.


Violer une fois, de manière temporaire, sa clause de non-concurrence, justifie l’interruption définitive du versement de la contrepartie financière (Cass, Soc. 5 mai 2021, n°20-12.092).

Dans cet arrêt, la Cour de cassation a enfin tranché une épineuse question juridique relative au versement de la contrepartie financière à la clause de non-concurrence.

Rappelons que cette contrepartie financière constitue une obligation de l’employeur du fait du respect par le salarié de son obligation de non-concurrence.

Si son versement doit naturellement être suspendu lorsque le salarié est entré au service d’un employeur concurrent, qu’en est-il lorsque durant la période d’application de la clause, le salarié se conforme à nouveau à ses obligations, en rompant finalement le contrat de travail avec son ancien employeur ?

Pour la Cour de cassation, en violant ses obligations, même de manière temporaire, le salarié a perdu définitivement son droit au versement d’une contrepartie financière.

Ce constat est valable, quel que soit le contexte de la cessation de l’activité concurrentielle.

Notons qu’en l’espèce, c’est l’employeur concurrent qui avait mis fin à la période d’essai du salarié.

Violer sa clause de non-concurrence, même temporairement, s’opère donc aux risques et périls du salarié, lequel pourra non seulement perdre définitivement le bénéfice de sa contrepartie financière, mais également voir sa responsabilité civile engagée par son ancien employeur.


Petit rappel concernant les délais de prescription relatifs aux actions en requalification d’un CDD en CDI du fait du non-respect du délai de carence (Cass, Soc. 5 mai 2021, n°19-14.295).

Les actions en requalification des contrats de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée ont toujours eu pour point commun de créer de nombreux débats quant au point de départ de leurs délais de prescription.

Par cet arrêt, la Chambre sociale de la Cour de cassation est venue préciser un élément important concernant les actions en requalification fondées sur le non-respect du délai de carence entre les CDD.

Sur ce point, la Chambre sociale est venue considérer que le point de départ devait être situé au jour de l’apparition du vice.

Lors d’une succession de CDD pour lesquels le délai de carence n’aurait pas été respecté, le point de départ du délai de prescription de l’action doit ainsi être fixé au jour de la conclusion du premier contrat vicié.

Il convient de préciser qu’en l’espèce, il s’agissait du premier CDD conclu en violation du délai de carence, autrement dit, le deuxième CDD.


Le boycott d’une séance de vote par une partie des membres du CSE se fait à leurs risques et périls (TJ Nanterre, 7 mai 2021, n°21/00826).

Le Tribunal Judiciaire de NANTERRE est venu rappeler que le vote d’un avis concernant une cession d’entreprise par les membres du Comité Social et Economique (CSE) n’était soumis à aucun quorum.

C’est dans ce contexte que les membres d’un CSE ont été pris au piège lors du boycott d’un vote.

Notons que le CSE avait saisi préalablement le Tribunal Judicaire de NANTERRE pour obtenir de la part de l’employeur un complément d’information, avant le rendu d’un avis concernant l’opération.

N’en déplaise au CSE, l’employeur avait néanmoins prévu de soumettre le projet au vote, avant même l’audience, lors d’une réunion qui a été boycottée par la majorité des membres de l’institution, qui ont quitté la salle.

Une minorité de membres était toutefois restée à cette réunion et avait voté sur l’avis.

Le Tribunal Judiciaire de NANTERRE a alors considéré que l’avis avait été régulièrement rendu par le CSE. La demande en complément d’information n’avait dès lors plus d’objet dans la mesure où la procédure de consultation avait été clôturée par le rendu de l’avis.

En matière d’information consultation, l’union fait donc la force…mais à la condition que tous les membres du CSE agissent comme un seul !


Signature d’une transaction : pas d’application du principe d’égalité de traitement entre les salariés (Cass, Soc. 12 mai 2021, n°20-10.796).

La transaction, acte par lequel l’employeur et le salarié mettent fin à un litige, moyennant le versement d’une indemnisation, est guidée par le principe de la liberté contractuelle.

C’est ce que nous rappelle la Chambre sociale de la Cour de cassation, dans plusieurs décisions du 12 mai 2021, dans lesquelles elle rejette l’application du principe d’égalité de traitement entre les salariés d’une même entreprise ayant signé une transaction avec leur employeur.

Une Cour d’appel avait pourtant condamné un employeur à payer diverses sommes à ses salariés, en complément de l’indemnité transactionnelle déjà perçue, au motif que chacun des salariés, placés dans la même situation, devait obtenir les mêmes montants.

Au contraire, pour la Cour de cassation, les parties sont libres de négocier l’indemnisation de leur choix, qu’importe que d’autres salariés, placés dans la même situation (ancienneté, responsabilité), ont reçu une somme moindre.

Cet arrêt nous confirme que la transaction demeure ainsi une des dernières zones de liberté contractuelle en droit du travail, les principes généraux de la matière, tel que le principe d’égalité de traitement, pouvant être librement écartés par les parties.

Il convient de souligner que ce postulat est d’autant plus renforcé que la Cour de cassation n’a pas cru bon renvoyer les affaires devant les juridictions du fond, considérant que le litige devait être définitivement jugé en annulant la condamnation de l’employeur prononcée par la Cour d’appel. 


Demande d’annulation des élections professionnelles : avant l‘heure ce n’est pas l’heure, après l’heure ce n’est plus l’heure… mais pas en ce qui concerne le Protocole d’Accord préélectoral (Cass, Soc. 12 mai 2021, n°19-23.428).

Le Code du travail, dans son article R.2314-24, prévoit que toute demande portant sur la contestation des élections professionnelles doit être déposée devant le Tribunal d’Instance (fusionné avec le TGI devenu depuis Tribunal Judiciaire), dans les 15 jours suivant l’élection.

Une organisation syndicale, mécontente du Protocole d’Accord Préélectoral, qu’elle jugeait irrégulier, n’a pas hésité à déposer son recours avant la tenue effective de l’élection.

Le Syndicat estimait ainsi que rien ne l’empêchait de saisir le Tribunal, avant la tenue du scrutin, dès lors que l’irrégularité était déjà intervenue et existait depuis la signature du Protocole.

Ce n’était pas l’avis du Tribunal d’Instance saisi de la question, qui a entendu faire appliquer strictement la lettre de l’article R.214-24 du Code du travail qui prévoit bien une action contentieuse devant être introduite dans la quinzaine suivant l’élection : c’est-à-dire, selon elle, ni après, ni avant.

La Cour de cassation s’est néanmoins rangée derrière la position du Syndicat en estimant que l’action ne portait pas sur l’élection en elle-même, mais sur le Protocole d’Accord préélectoral.

Le Syndicat pouvait donc agir dès l’apparition du vice.

L’annulation du Protocole d’Accord Préélectoral entraînant, de facto, l’annulation de l’élection, la Cour de cassation a donc indirectement ouvert une exception au principe de prohibition des demandes d’annulation anticipée d’une élection à venir.

Bernard RINEAU, Avocat Associé

Kevin CHARRIER, Avocat