Actualité jurisprudentielle du droit du travail – Mai/Juin 2021

Décisions évoquées : Cour de Cassation, Chambre sociale, 5 mai 2021, n°19-22.209; Cour de Cassation, Chambre sociale, 12 mai 2021, n°20-10.512; Cour de Cassation, Chambre sociale, 19 mai 2021, n°19-20.526; Tribunal Correctionnel de Paris, 20 mai 2021; Cour de Cassation, Chambre sociale, 27 mai 2021, n°19-17.587; Cour de Cassation, Chambre sociale, 2 juin 2021, n°19-16.183; Cour de Cassation Chambre commerciale, 9 juin 2021, n°19-14.485, Cour de Cassation, Chambre sociale, 16 juin 2021, n°19-25.344, Cour de Cassation, Chambre sociale, 23 juin 2021, n°19-15.737, Cour de Cassation, Chambre sociale, 23 juin 2021, n°19-24.020

responsabilité pénale

Une promotion n’emporte pas obligatoirement une augmentation du salaire (Cass, Soc. 5 mai 2021, n°19-22.209)

Par cet arrêt, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation est venue rappeler que la modification de la qualification et du poste du salarié n’entraine pas obligatoirement une augmentation de sa rémunération.

En l’espèce, un salarié avait saisi le Conseil de Prud’hommes en contestation de son licenciement pour absence prolongée et avait dans le cadre de cet instance, soutenu que son employeur avait manqué gravement à ses obligations en n’accompagnant pas sa dernière promotion d’une augmentation de son salaire.

La Cour de Cassation n’a finalement pas donné raison au salarié en considérant que si l’avenant au contrat de travail régularisant sa promotion ne prévoyait pas une telle augmentation de salaire, c’est que les parties avaient décidé de maintenir celle-ci en l’état, malgré le changement de poste.

Il ne saurait ainsi être reproché à l’employeur de ne pas avoir respecté une obligation ne ressortant d’aucun engagement.

En matière de modification du contrat de travail, il est donc essentiel de bien faire apparaitre dans les avenants l’ensemble des nouvelles obligations de l’employeur.

Notons néanmoins que cet arrêt ne peut avoir une portée universelle dans la mesure où, dans le cadre d’une promotion, l’employeur ne pourra en aucun cas rémunérer son salarié en dessous des minimums conventionnels prévus pour le nouveau poste.

Dans cette hypothèse, la promotion emportera alors obligatoirement une augmentation du salaire.


Insulter son employeur ne relève pas de la faute… lorsqu’une situation de harcèlement moral est à l’origine de la violence verbale (Cass, Soc. 12 mai 2021, n°20-10.512)

Par cet arrêt, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation est venue soulever une exonération de responsabilité pour un salarié souffrant d’un état pathologique consécutif à une situation de harcèlement moral subie dans l’entreprise.

Pour mémoire, la jurisprudence a toujours abordé la question des violences commises sur le lieu de travail sous l’angle de la faute disciplinaire.

Si les violences physiques ont toujours été sanctionnées sur le terrain de la faute grave, une certaine marge de manœuvre a toutefois été offerte aux juges du fond s’agissant des violences verbales.

Sans pour autant discuter le caractère fautif de tels actes, il appartenait alors aux juges de contrôler l’échelle de la sanction pouvant être prononcée par l’employeur face à des injures proférées dans l’entreprise.

Du simple avertissement au licenciement, la question était de jauger si les faits pouvaient conduire l’employeur à faire preuve d’une certaine sévérité au regard du passé disciplinaire du salarié et au contexte dans lequel était intervenu les injures.

Cet arrêt est emprunt d’une certaine originalité à deux égards.

D’une part, il n’aborde pas la question de l’injure du point de vue de l’atténuation de la gravité de la faute, au regard du contexte dans lequel elle est intervenue (en l’espèce une situation de harcèlement moral), mais prononce une exonération totale de responsabilité du salarié fragilisé par le comportement de l’employeur.

D’autre part, cet arrêt étend cette irresponsabilité aux violences verbales commises contre l’employeur lui-même, alors même qu’en situation normale, ces dernières auraient nécessairement constitué une circonstance aggravante, l’employeur étant particulièrement protégé au nom du principe de respect de la hiérarchie et du pouvoir de direction d’une manière générale. 

Tout porte néanmoins à croire qu’une solution similaire n’aurait pas été rendue face à un salarié qui se serait livré à des violences physiques, considérées par la jurisprudence comme des faits ne pouvant donner lieu à la moindre tolérance.


Refuser de signer une rupture conventionnelle est un droit absolu de l’employeur (Cass, Soc. 19 mai 2021, n°19-20.526)

Cet arrêt est venu apporter une précision intéressante dans le cadre des procédures de rupture conventionnelle.

La Chambre Sociale de la Cour de Cassation a en effet été saisie d’une question portant sur un abus de droit de l’employeur qui aurait refusé, au dernier moment, de signer une rupture conventionnelle à la suite de la découverte d’une faute commise par son salarié.

En dépit du principe de la liberté contractuelle qui autorise le salarié et l’employeur à ne pas conclure de rupture conventionnelle du contrat de travail, une Cour d‘Appel avait considéré qu’en refusant de signer au dernier moment, l’employeur avait bien commis une faute.

La Cour était venue motiver sa décision par le fait que la faute du salarié, découverte au moment de la signature, était minime.

La Cour de Cassation ne va pas être du même avis.

Pour elle, qu’importe les raisons objectives qui viennent justifier le refus de signer, ce dernier constitue un droit de l’employeur qui ne peut en aucun cas dériver en abus.

Notons que dans le cas d’espèce, le salarié avait justifié la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail par cette prétendue faute de l’employeur. La Cour de Cassation a naturellement censuré le caractère justifié de cette prise d’acte.

Rappelons-le, quelle que soit la position des parties, la rupture conventionnelle suppose la pleine adhésion de chacun.


Pas de délit de diffamation pour des syndicalistes ayant qualifié les pratiques de leur employeur d’esclavage moderne (Trib. Corr. PARIS, 20 mai 2021)

La liberté d’expression syndicale a une de fois de plus été soumis à l’appréciation du juge pénal qui a été saisi contre trois syndicalistes d’un grand groupe français pour avoir qualifié les pratiques managériales d’ « esclavage moderne », dans le cadre d’un communiqué écrit publié largement.

Rappelons qu’en matière de diffamation, les organisations syndicales jouissent d’une véritable bienveillance de la part des magistrats qui considèrent régulièrement que les propos diffamatoires tenus s’inscrivent dans le cadre de la défense des intérêts collectifs (en ligne droite avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme).

Comme bien souvent, le Tribunal Correctionnel de PARIS a relaxé les syndicalistes, alors même que ce dernier a expressément reconnu l’existence d’une diffamation.

Toutefois, le Tribunal s’est immédiatement empressé de reconnaitre également, de manière paradoxale, la bonne foi des protagonistes pour justifier la relaxe.

Une fois encore, il est légitime de s’interroger sur l’égalité des droits des justiciables en matière de presse, les organisations syndicales semblant jouir, en la matière, d’une véritable impunité.


Refus d’une sanction par le salarié : interruption du délai de prescription de deux mois (Cass, Soc. 27 mai 2021, n°19-17.587)

Le droit disciplinaire offre à l’employeur une large palette de sanctions pouvant être prononcées contre son salarié, du simple avertissement, en passant par la rétrogradation, la mutation et en allant jusqu’au licenciement.

Dans la mesure où la sanction est proportionnée à la faute commise par le salarié, l’employeur peut donc décider d’être plus ou moins sévère avec ce dernier.

Il convient néanmoins de toujours garder à l’esprit que lorsqu’une faute est commise, l’employeur ne peut engager la procédure disciplinaire, en convoquant le salarié à un entretien préalable, au-delà d’un délai de deux mois.

Dans cet arrêt du 27 mai 2021, la Cour de Cassation est justement venue apporter une précision sur les évènements ayant pour effet de suspendre ce délai de deux mois en le faisant repartir de zéro.

En l’espèce, il avait été proposé à un salarié, à titre de sanction, d’être muté sur un autre site, en laissant à celui-ci un délai de réflexion d’une dizaine de jours (cette sanction ayant pour effet de modifier le contrat de travail du salarié elle devait nécessairement être acceptée par celui-ci).

À la suite du refus du salarié, l’employeur aura attendu presque deux mois pour convoquer ce dernier à un nouvel entretien préalable en vue de la prise d’une autre sanction ne nécessitant pas l’accord du salarié.

Le salarié a alors considéré que l’employeur avait largement dépassé le délai de deux mois l’autorisant à le sanctionner.

Réponse négative de la Cour de Cassation qui considère que lorsque le salarié est en situation de refuser une sanction, et qu’il notifie à son employeur un tel refus, le délai de deux mois est suspendu et repart donc de zéro.

L’employeur disposait donc d’un nouveau délai de deux mois, à compter de ce refus, pour convoquer le salarié à un nouvel entretien préalable.

Il convient en tout état de cause d’être particulièrement vigilants en matière de respect des délais, la règle de prudence imposant toujours de réagir au plus vite face à une faute commise par un salarié.


Requalifier un CDD n’a aucune incidence sur les autres clauses du contrat de travail, même pour les pigistes (Cass, Soc. 2 Juin 2021, n°19-16.183)

Dans 3 arrêts rendus le même jour, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation est venue apporter des précisions sur les effets de la requalification d’un CDD en CDI, au regard d’un contentieux qui ne cesse pas de faire parler de lui, celui des pigistes embauchés en CDD de manière habituelle et constante par les organes de presse.

Par ces décisions, la Cour confirme une jurisprudence ancienne voulant que la requalification d’un contrat de travail n’a d’effet que sur la durée du contrat, et non sur les autres clauses, notamment celle sur la durée du travail du salarié.

Dans ces affaires, les salariés étaient des pigistes non soumis à une durée du travail (les pigistes intervenant en général sur des plages horaires limitées et étant payés à la mission et non en fonction d’une durée du travail). qui sollicitaient au titre de la requalification de leur contrat en CDI, le versement d’une indemnité compensatrice de préavis calculée sur un temps plein.

Pour la Cour de Cassation, la requalification en CDI ne remettait pas en cause le fait que les salariés ne travaillaient pas à temps plein.

Dès lors que la durée du travail reconstituée ne correspond pas à un temps plein, l’indemnité compensatrice de préavis doit être calculée en fonction d’un salaire à temps partiel.

Une fois encore, la Cour de Cassation est venue rappeler que le pigiste ne peut profiter de la requalification de son contrat en CDI pour demander automatiquement l’application d’un temps plein, alors que ses volumes de travail ne correspondent pas à cette situation.

En matière de durée du travail, c’est une fois encore le principe de réalité qui vient s’appliquer : sans travail, pas de salaire.


Une Société victime de la violation, par un de ses anciens salariés, d’une clause de non-concurrence peut engager la responsabilité du nouvel employeur pour complicité devant le Tribunal de Commerce, avant même que le Conseil de Prud’hommes ne se prononce sur la validité de la clause… uniquement en référé (Cass, Com. 9 juin 2021, n°19-14.485)

Dans cet arrêt, la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation offre aux employeurs la possibilité d’aller à la fois engager la responsabilité d’un ancien salarié violant sa clause de non concurrence, devant le Conseil de Prud’hommes, et de saisir parallèlement le Tribunal de Commerce, en référé, d’une action contre le nouvel employeur pour complicité.

Dans cette affaire la question était de savoir si le Tribunal de Commerce pouvait statuer sur la validité de la clause de non-concurrence avant que le Conseil de Prud’hommes ne rende sa décision sur ce point.

En effet, théoriquement, le Conseil de Prud’hommes étant le seul juge du contrat de travail, le Tribunal de Commerce doit impérativement surseoir à statuer dans l’attente de la décision de cette juridiction sur la validité de la clause et la matérialité de sa violation effective (Cass, Com. 6 mai 2003, n°01-15.268).

Pour la Chambre Commerciale, le Tribunal de Commerce étant saisi en référé, et non au fond, il n’avait pas à prononcer de sursis à statuer dans l’attente de la décision du Conseil de Prud’hommes et pouvait accorder des dommages et intérêts, à titre de provision, à l’ancien employeur victime.

Au regard de cette jurisprudence, il est donc conseillé aux entreprises de ne pas attendre l’issue d’une procédure prud’homale pour attaquer ses concurrents ayant aidé ses anciens salariés à violer leur clause de non-concurrence.

Il convient toutefois d’adopter une attitude prudente au regard des éventuelles décisions de condamnation qui pourraient être rendues par le Tribunal de Commerce, celles-ci ayant un caractère provisoire et pouvant être remises en cause dans la mesure où le Conseil de Prud’hommes ne reconnaitrait pas les manquements du salarié. 


La charge de la preuve du paiement des rémunérations repose exclusivement sur l’employeur (Cass, Soc. 16 juin 2021, n°19-25.344)

Dans cet arrêt, la Cour de Cassation est venue rappeler que la preuve du paiement des salaires reposait exclusivement sur l’employeur, lequel doit démontrer, par tout moyen, qu’il a effectivement procédé au versement de la rémunération de son salarié.

En effet, en matière de paiement des rémunérations, la jurisprudence entend appliquer strictement les principes du droit civil voulant que ce soit au débiteur d’une obligation de démontrer l’exécution de celle-ci (principe découlant des dispositions du nouvel article 1353 du Code Civil).

Ce faisant, et contrairement à ce qu’avait décidé la Cour d’Appel de FORT DE FRANCE, il ne saurait être reproché à un salarié de ne pas avoir pu démontrer le paiement de sa rémunération et notamment de son indemnité de congés payés.

Rappelons qu’en la matière, il sera généralement demandé à l’employeur de démontrer la délivrance d’un paiement par chèque, ou par virement, à l’attention du salarié.

Notons également que la délivrance d’un bulletin de salaire est insuffisante pour démontrer que le paiement a bien été réalisé.


Modification du Règlement intérieur sur injonction de l’inspecteur du travail : il n’y pas besoin de consulter le CSE (Cass, Soc. 23 juin 2021, n°19-15.737)

Dans cet arrêt, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation est venue rappeler qu’en matière de modification du règlement intérieur, la règle de consultation préalable du Comité Social et Economique (CSE) pouvait connaitre des exceptions.

Rappelons que l’article L.1321-4 du Code du travail impose une telle consultation avant que ce texte normatif ne soit mis en œuvre dans l’entreprise ou simplement modifié.

A défaut d’une telle consultation, le règlement intérieur est inopposable aux salariés qui ne peuvent être sanctionnés sur son fondement.

Néanmoins, la Cour de Cassation considère depuis plusieurs années qu’une telle consultation n’est plus imposée lorsque le règlement intérieur est modifié sur injonction de l’administration du travail.

En effet, pour la Cour, une telle modification intervient à l’initiative de l’Administration et non de l’employeur, ce qui justifie que soit écarté les dispositions de l’article L.1321-4 du Code du travail.

Dans cette hypothèse, il est en effet constant qu’une consultation du CSE n’aurait aucun intérêt, l’employeur n’ayant pas le choix quant à la mise en œuvre des modifications apportées au document.

En venant prévoir des exceptions non prévues par la loi, la Cour de Cassation vient une nouvelle fois de démontrer la toute puissance des décisions de l’Administration du travail, lesquelles sont élevées au-dessus même des règles d’ordre public relatives au dialogue social.


Précision de la notion « d’employeur ayant connaissance des faits fautifs » : sont concernés les supérieurs hiérarchiques non titulaires du pouvoir disciplinaire (Cass, Soc. 23 juin 2021, n°19-24.020).

En droit du travail, la notion d’employeur a toujours porté à confusion.

Si au sens juridique du terme, l’employeur demeure la personne morale ayant conclu le contrat de travail, cette notion a tendance également à s’étendre aux personnes physiques représentant celle-ci.

La Cour de Cassation est une fois encore venue récemment étendre la notion d’employeur à toute personne ayant un pouvoir hiérarchique, même non titulaire du pouvoir de sanctionner le salarié.

Cette précision a toute son importance dans le cadre des procédures disciplinaires et plus particulièrement en matière de prescription des faits fautifs.

Ainsi, par principe, aucun fait ne peut faire l’objet d’une sanction au-delà d’un délai de deux mois.

Le point de départ de ce délai se situe au jour où l’employeur a eu connaissance des faits (ce qui peut intervenir plusieurs semaines après la commission des faits).

Ce faisant, par cet arrêt, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation a considéré que le délai de prescription de deux mois avait commencé à courir dès lors que le supérieur hiérarchique du salarié avait eu connaissance des faits fautifs, qu’importe que ce supérieur n’ait aucun pouvoir de sanction à l’encontre de son subordonné.

Cette précision a son importance dans les grandes entreprises au sein desquelles les chefs de services, d’équipes ou même de bureaux ayant autorité sur un faible nombre de salariés, n’ont aucune prérogative pour sanctionner les collaborateurs.

Les N+1 doivent donc être particulièrement vigilants dès lors qu’ils sont informés d’un manquement, en remontant au plus vite les informations aux membres de leur hiérarchie titulaires du pouvoir de sanctionner le salarié.

Bernard RINEAU, Avocat Associé

Kevin CHARRIER, Avocat