Actualité jurisprudentielle du droit du travail – Mars / Avril 2021

Décisions évoquées : Conseil d'Etat, 9 mars 2021, n°433214 / Cour d'Appel de PARIS, 16 mars 2021, n°19/08721 / Cour de Cassation, Soc. 17 mars 2021, n°19-23.042 / Cour de Cassation, Soc. 24 mars 2021, n°19-12.208 / Cour de Cassation, Soc. 24 mars 2021, n°19-12.208 / Tribunal Judiciaire de Nanterre 10 mars 2021, n° RG 20/09616 / Tribunal Judiciaire de PARIS 30 mars 2021, n°RG20/09805 / Cour de Cassation, Soc. 31 mars 2021, n°19-22.388 / Cour de Cassation, Soc. 31 mars 2021, n°19-23.518 / Cour de Cassation, Civ 2ème. 8 avril 2021, n°20-11.935 / Cour de Cassation, Soc. 8 avril 2021, n°19-15.432 / Cour de Cassation, Soc. 14 avril 2021, n°19-24.079

justitia-2597016_1920

Intérêt à agir du CSE contre la décision d’un tiers institutionnel devant le juge administratif (CE, 9 mars 2021, n°433214)

Le Conseil d’Etat a admis la possibilité pour le Comité Social et Economique (ex comité d’entreprise) d’agir contre une décision d’une autorité administrative indépendante, lorsque celle-ci concerne directement l’entreprise dans laquelle celui-ci est élu.

En l’espèce, l’Autorité de la Concurrence avait délivré une autorisation de prise de contrôle à une Société absorbante, alors même que le CSE de la Société absorbée avait saisi le juge judiciaire, pour obtenir une injonction d’ouvrir la négociation annuelle sur les intérêts stratégiques, avant tout dépôt de cette demande d’autorisation.

Si le juge administratif a logiquement considéré que l’Autorité de la Concurrence n’était pas liée par la décision du juge judiciaire, qui s’imposait uniquement à la Société absorbée, et qu’elle était donc libre de rendre sa décision quand elle le souhaitait, il a été jugé que le CSE avait bien un intérêt à agir devant lui contre la décision d’autorisation de l’opération de prise de contrôle.

Le Conseil d’Etat considère ainsi qu’en agissant contre cette décision, le CSE ne fait que mettre en œuvre ses attributions de défense de la communauté de travail concernant la gestion économique et financière de l’entreprise et les conditions de travail.

Par cet arrêt, le Conseil d’Etat vient donc étendre la possibilité offerte au CSE d’agir devant les juridictions contre les tiers, et non plus seulement contre l’employeur.


Barèmes Macron – A son tour, la Cour d’Appel de Paris fait de la résistance (CA de PARIS, 16 mars 2021, n°19/08721)

Alors que l’Assemblée Plénière de la Cour de Cassation a jugé, dans un avis, la conformité des barèmes Macron avec le droit international et que l’on pensait ce débat définitivement tranché, la Cour d’Appel de Paris s’est mise à son tour à faire de la résistance.

Sur le fondement du principe de l’indemnisation adéquate, la Cour a ainsi jugé qu’un salarié ayant 4 ans d’ancienneté et plus de 53 ans ne pouvait voir le préjudice lié à la perte de son emploi réparé par le versement d’une somme de 4 mois de salaire.

Compte tenu des difficultés du salarié à pouvoir retrouver un emploi, la Cour d’Appel a suivi les nombreux Conseils de Prud’hommes frondeurs aux barèmes Macron, et s’est donc positionnée en faveur d’une indemnisation fondée sur le préjudice réel.

Cet arrêt vient donc une nouvelle fois créer une insécurité juridique sur l’application de ces barèmes et appelle les employeurs à adopter une certaine prudence en calculant le risque judiciaire afférent à un licenciement.

Reste donc à attendre la position de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation qui serait saisie en dehors du cadre d’un simple avis, pour appréhender dans quelle mesure les barèmes prud’homaux pourraient éventuellement être amenés à disparaitre, sur le fondement d’une éventuelle contrariété au droit international et communautaire.


L’effet rétroactif de l’annulation d’une décision de retrait de port d’armes, fait perdre au licenciement son caractère réel et sérieux (Cass, Soc. 17 mars 2021, n°19-23.042)

Cet arrêt appelle les employeurs à la plus grande vigilance lorsqu’ils envisagent de licencier un salarié en raison d’une décision administrative lui retirant le droit de porter une arme.

La RATP a ainsi fait les frais d’une décision des juridictions administratives annulant la décision du Préfet de Police de Paris de retirer le droit de port d’arme d’un de ses agents de sécurité.

La décision d’annulation ayant une valeur rétroactive, ce permis de port d’arme était réputé avoir toujours existé.

Par conséquent, la Cour de Cassation a jugé que le licenciement du salarié, sur ce seul retrait, devait être considéré comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Cet arrêt nous rappelle ainsi que l’employeur de bonne foi peut engager sa responsabilité du fait d’une erreur de l’administration.

Mieux vaut dès lors se prémunir contre ce type d’erreurs et penser à reclasser le salarié dans un autre emploi, notamment lorsque celui-ci exerce son droit de recours contre la décision administrative.


Annulation de l’accord de branche relatif au forfait annuel en jours dans le secteur du bricolage (Cass, Soc. 24 mars 2021, n°19-12.208)

Une nouvelle fois, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation est venue censurer les dispositions d’un accord de branche relatif au forfait annuel en jours, pour insuffisance de garanties en matière de surveillance de la charge de travail des salariés.

Une fois n’est pas coutume, la Convention du secteur du bricolage avait beau garantir aux salariés des temps de repos quotidiens et hebdomadaires conformes avec les règles d’ordre public prévues par le Code du travail, l’accord du 23 juin 2000 ne prévoyait aucun suivi régulier de la charge de travail par l’employeur.

Ce faisant, faute de prévoir des procédures strictes de surveillance, l’Accord de Branche contrevenait aux exigences constitutionnelles et communautaires en matière de droit au repos effectif.

Tout comme dans les secteurs du bâtiment et travaux publics (Cass, Soc. 11 juin 2014, n°11-20.985), des experts comptables et commissaires aux comptes (Cass, Soc. 14 mai 2014 n°12-35.033), ou encore dans celui des Cabinets de Conseil (Cass, Soc. 24 avril 2013, n°11-25.398), les partenaires sociaux de la Branche du bricolage devront se remettre autour de la table pour négocier un accord conforme aux exigences jurisprudentielles.


Le remplacement du salarié licencié pour absence prolongée doit se faire dans un délai raisonnable (Cass, Soc. 24 mars 2021, n°19-13.188)

Le licenciement pour absence prolongée, considéré comme un véritable piège pour l’employeur, tant ses conditions de validité ont été progressivement réduites par la jurisprudence (absence désorganisant toute l’entreprise, impossibilité de remplacement par un salarié en CDD, obligation de remplacer le salarié licencié par un salarié en CDI), continue d’alimenter le contentieux de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation.

Par cet arrêt, la Cour précise une nouvelle fois que le remplacement du salarié licencié doit être effectué dans un délai raisonnable.

Notons que cette dernière notion pose de véritables difficultés aux praticiens, tant la détermination du caractère raisonnable du délai apparait être subjective.

En l’espèce, la Chambre Sociale a laissé le soin aux juges du fond d’effectuer ce contrôle au regard de plusieurs critères, notamment de l’importance du poste du salarié remplacé et donc de la durée de la procédure de recrutement.

Dans ce cas d’espèce, la Cour d’Appel de PARIS, suivie par la Cour de Cassation, avait légitimement considéré que le remplacement effectif du Directeur d’une Association pouvait se faire 6 mois après le licenciement du salarié.


Salariés en télétravail et tickets restaurant : désaccord profond entre le Tribunal Judiciaire de Nanterre et celui de Paris (TJ de Nanterre 10 mars 2021, n° RG 20/09616 et TJ de PARIS 30 mars 2021, n°RG20/09805)

Les salariés en télétravail ont -il droit au titres restaurant comme les autres travailleurs ? Telle est la question qui a été soumise, en l’espace de 20 jours, à deux juridictions de renom que sont le Tribunal Judiciaire de Nanterre et celui de Paris.

Alors même que nous pensions avoir obtenu un début de réponse lorsque les juges de Nanterre ont considéré que les télétravailleurs ne pouvaient se voir accorder cet avantage, du fait de la possibilité qui leur était offerte de déjeuner chez eux sans surcoût, les juges parisiens ont pris une position totalement différente au nom du principe d’égalité de traitement entre les salariés.

Sur ce point, et afin de faire primer le principe de sécurité juridique, un éclaircissement serait le bienvenu, d’autant plus que l’URSSAF, par l’intermédiaire du nouveau BOSS (Bulletin Officiel de Sécurité Sociale) est venue dès le 1er avril 2021, se ranger derrière la position des juges parisiens en appliquant le même régime d’exonération sociale aux télétravailleurs et aux salariés présents sur site.

Affaire à suivre, d’autant plus que tout appel interjeté au titre de ces deux jugements serait porté devant deux Cour différentes, celle de Paris et de Versailles.

Sur ce point, il conviendra d’observer si les juges d’appel décident ou non de s’entendre.


Violences, injures et humiliations : la caractérisation de la faute grave ne dépend pas toujours exclusivement de la libre appréciation des juges du fond (Cass, Soc. 31 mars 2021, n°19-22.388 et Cass, Soc. 31 mars 2021, n°19-23.518)

Alors même que la Cour de Cassation est venue, depuis plusieurs années, se désengager de l’appréciation de l’existence du bien-fondé de la faute grave à l’origine d’un licenciement, laissant aux juges du fond (Conseils de Prud’hommes et Cours d’Appel) le soin de décider librement, au regard des faits, si celle-ci est bien constituée, ces deux arrêts viennent nuancer cette position.

Ainsi, dans certains cas, la faute grave ne peut décemment faire débat, les juges du fond devant impérativement la caractériser lorsque les faits à l’origine du licenciement sont avérés.

Tel est le cas des actes de violences contre des résidents d’une maison de retraite, ou encore des actes d’injures et de dénigrement d’un Cadre sur les personnes qui lui sont subordonnées.

On peut donc penser que concernant certains actes, qui seraient commis par les salariés, la Cour de Cassation entend aborder une notion universelle de la faute grave, qui ne peut être substituée par une sanction plus légère, telle que le licenciement pour cause réelle et sérieuse qui offre au salarié le droit au paiement d’un préavis et d’une indemnité de licenciement.


Le particulier employeur exposé à la faute inexcusable – une première (Cass, Civ 2ème. 8 avril 2021, n°20-11.935)

Pour la première fois, la Deuxième Chambre Civile de la Cour de Cassation, spécialisée dans les contentieux de sécurité sociale, est venue étendre la notion de faute inexcusable au particulier employeur, jusqu’alors à l’abri de cette sanction impliquant le versement, au salarié victime, d’une rente supplémentaire et de dommages et intérêts en complément de ce qui est déjà à la charge de la CPAM.

Ainsi, le particulier employeur qui avait connaissance, ou aurait dû avoir connaissance, d’un danger et qui n’a pas pris les mesures de protection en faveur de son salarié sera, au même titre que les entreprises, contraint d’indemniser le salarié victime.

A noter que dans cette affaire retentissante, le particulier employeur était parti en vacances sans informer son employé de maison de la vétusté de son balcon, qui par la force des choses a fini par céder, en emportant ce dernier.

Devenir employeur ne s’improvise donc pas et oblige le particulier à une vigilance quant aux dangers auxquels son salarié pourrait être exposé (chutes, électrocutions, etc.).


Les objectifs du salarié doivent nécessairement être fixés avant le début de l’exercice (Cass, Soc. 8 avril 2021, n°19-15.432)

Il est constant que la rémunération variable du salarié peut dépendre de la réalisation d’objectifs fixés discrétionnairement par l’employeur.

La Cour de Cassation a une fois encore validé ce processus de fixation unilatérale des objectifs, à condition qu’il se fasse avant le début de la période durant laquelle seront pris en compte les résultats du salarié.

En effet, en fixant ces objectifs en cours de période, il est certain que l’employeur possèdera déjà les informations lui permettant de faire une projection des résultats de son salarié, ce qui pourrait éventuellement le pousser à adapter en conséquence les objectifs afin que ceux-ci deviennent inatteignables, ce qui aurait nécessairement pour conséquence d’impacter la rémunération variable du salarié.

Par cet arrêt, la Chambre Sociale vient donc placer la bonne foi contractuelle au cœur du pouvoir de direction de l’employeur en matière de fixation des objectifs.


La vente de vêtements en contact avec la clientèle n’autorise pas l’employeur à interdire au salarié le port d’un signe religieux, notamment un foulard islamique (Cass, Soc. 14 avril 2021, n°19-24.079)

Si la Chambre Sociale de la Cour de Cassation nous a souvent habitués à rendre des arrêts polémiques, celui du 14 avril dernier a pour le moins fait couler beaucoup d’encres.

Une vendeuse de l’enseigne de prêt à porter Camaïeu avait été licenciée après avoir refusé d’ôter son voile islamique durant son service. Malgré l’absence de clause afférente à une neutralité religieuse dans le règlement intérieur de l’entreprise, l’enseigne avait argué d’une restriction justifiée et proportionnée de la liberté religieuse au nom de l’image de l’entreprise.

Pour la Cour de Cassation, le contact avec la clientèle ne justifiait pas une telle atteinte, d’autant plus lorsque la restriction litigieuse ne faisait pas l’objet d’une clause dans le règlement intérieur.

Le législateur n’ayant imposé aucun principe de neutralité dans les entreprises du secteur privé, non délégataires d’une mission de service public, l’employeur ne peut théoriquement pas restreindre la liberté religieuse, sans motif suffisant, les plaintes des clients et l’image de l’entreprise n’en faisant pas partie.

Compte tenu du fait que la liberté religieuse est considérée comme une liberté fondamentale, le licenciement intervenu en violation de celle-ci doit ainsi être déclaré nul.

Il convient désormais de surveiller ce qui pourrait, en dehors de toute délégation de service public, constituer un intérêt essentiel de l’entreprise susceptible de justifier de telles restrictions.

Bernard RINEAU, Avocat associé

Kevin CHARRIER, Avocat