Clause de non-concurrence : l’ultime piège de la rupture du contrat de travail

“La rupture s’est faite, l’amour s’est envolé: bon voyage” (Georges SAND, Monsieur Sylvestre, 1866). Ces mots devraient, à eux seuls, traduire l’esprit des parties à l’issue de la rupture du contrat de travail, et pourtant. Il est tout à fait courant, qu’au moment de l’embauche du salarié, les parties conviennent d’insérer dans le contrat de […]

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La rupture s’est faite, l’amour s’est envolé: bon voyage” (Georges SAND, Monsieur Sylvestre, 1866).

Ces mots devraient, à eux seuls, traduire l’esprit des parties à l’issue de la rupture du contrat de travail, et pourtant.

Il est tout à fait courant, qu’au moment de l’embauche du salarié, les parties conviennent d’insérer dans le contrat de travail une clause de non-concurrence.

Celle-ci a pour originalité de les obliger l’une envers l’autre dans l’au-delà contractuel, après que le contrat a été effectivement rompu :

  • Le salarié, en s’abstenant de travailler, durant un temps donné, sur un périmètre donné, pour une Société concurrente à son employeur ;
  • L’employeur, en versant au salarié une contrepartie financière compensant l’atteinte portée à sa liberté fondamentale d’exercer une activité professionnelle.

Si depuis deux décennies, et notamment l’arrêt du 10 juillet 2002 (n°00-45.135), la jurisprudence de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation est venue progressivement graver dans le marbre les critères cumulatifs permettant de garantir la validité de la clause de non-concurrence (limite dans l’espace et le temps, contrepartie financière, caractère indispensable de la clause eu égard à l’intérêt de l’entreprise),  les employeurs ont été confrontés, depuis quelques années, à de nouvelles difficultés.

Ces nouvelles problématiques découlent en réalité d’un simple constat : si aujourd’hui l’enjeu des praticiens est de rédiger des clauses répondant aux critères de licéité fixés par la jurisprudence, et ce afin de garantir une non-concurrence effective du salarié à l’issue de son contrat de travail, ces derniers s’attachent à pouvoir également libérer le salarié de son obligation et ainsi s’affranchir du paiement de la contrepartie financière.

Rappelons en effet que l’exécution par le salarié de sa clause de non-concurrence est un privilège qui se paye très cher :  entre 25 et 40 % de la rémunération mensuelle du collaborateur.

Autrement dit, il n’est aujourd’hui plus question d’imposer ce type d’obligations à n’importe qui. Le versement de la contrepartie financière doit en valoir la peine et s’adresse désormais à des cadres dirigeants, Directeurs ou salariés détenteurs d’informations sensibles.

Toutefois, ceci n’est nullement chose aisée dans la mesure où la jurisprudence encadre strictement le moment au cours duquel l’employeur doit libérer le salarié de son obligation, complexifiant alors un peu plus le droit de la rupture du contrat de travail (I).

Pourtant, alors même que les différents mouvements jurisprudentiels sont venus protéger le salarié contre les abus découlant de l’application de cette clause attentatoire, par principe, à liberté du travail, la Cour de Cassation a aujourd’hui tendance à considérer la clause de non-concurrence comme un avantage pouvant constituer un déséquilibre au détriment de l’employeur (II).

I. La levée de la clause de non-concurrence, nouvel enjeu de la rupture du contrat de travail

Si les entreprises, par souci de se couvrir dès l’embauche contre les départs impromptus des collaborateurs pour la concurrence, continuent de conclure des clauses de non-concurrence, elles doivent néanmoins se poser désormais la question de leur levée, et ce bien avant le départ effectif du salarié de l’entreprise.

En effet, sur le terrain de la prévisibilité, la jurisprudence est venue consacrer le principe d’une levée antérieure au départ du salarié de l’entreprise, sous peine pour l’employeur de devoir payer à celui-ci l’intégralité de la contrepartie financière prévue au contrat (Cass, Soc. 21 janvier 2015, n°13-24.471).

En cas de licenciement, la jurisprudence vient distinguer la situation dans laquelle le salarié est tenu d’exécuter son préavis, de celle dans laquelle il en est expressément dispensé.

Dès lors que le salarié a fait l’objet d’une dispense de préavis, il est constant que la levée doit alors être concomitante avec la rupture, donc se faire au stade de l’envoi de la lettre de licenciement, afin de s’assurer que celui-ci sera bien libéré de son obligation avant son départ effectif de l’entreprise (Cass, Soc. 21 janvier 2015, n°13-24.471).

Dans l’hypothèse de l’exécution d’un préavis, la notification de la levée pourra en revanche se faire au cours de ce préavis, et en tout état de cause avant la sortie du salarié des effectifs (Cass, Soc. 21 mars 2018, n°16-21.021).

Il découle de ce mouvement jurisprudentiel que l’employeur désirant ne pas faire appliquer cette clause de non-concurrence doit impérativement s’organiser pour que son salarié soit libéré de celle-ci à la seconde où il franchit pour dernière fois les portes de l’entreprise.

Sur ce constat, la question technique sera plus facilement abordable, et transposable aux autres modes de rupture (rupture conventionnelle et démission).

Plusieurs questions demeurent toutefois en suspens.

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Il convient tout d’abord de s’interroger sur la compatibilité de ces décisions avec les clauses contractuelles ou conventionnelles venant encadrer précisément le délai de levée de la clause (qui bien souvent peut intervenir à l’issue de la rupture du contrat et du départ du salarié des effectifs).

Sur ce point, et dans son habitude, la Cour de Cassation est venue nuancer sa position, laissant à ces aménagements contractuels ou conventionnels une place prioritaire (Cass, Soc. 30 mars 2011, n°09-41.583).

Il faudra toutefois veiller à ce que ces aménagements ne traduisent pas, eux même, une imprévisibilité.

Telle est le cas par exemple des clauses contractuelles ou conventionnelles autorisant l’employeur à renoncer à la clause à tout moment à l’issue de la rupture du contrat de travail.

Une telle formulation revêt alors un caractère léonin qui équivaut, pour la jurisprudence, à une absence d’aménagement. Dès lors de telles clauses sont tout simplement réputées non écrites et inopposables au salarié (Cass, Soc. 13 juillet 2010, n°09-41.626).

Ce faisant, l’employeur confronté à une formulation aussi bancale se devra de prévoir, une fois n’est pas coutume, une levée antérieure au départ du salarié de l’entreprise.

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Au-delà de la temporalité, c’est d’ailleurs bien souvent sur la question même de la rédaction de la clause que certains employeurs se voient également prendre au piège.

Ainsi, dans un arrêt récent, la Chambre Sociale s’est entreprise à subordonner la levée de la clause de non-concurrence au respect du formalisme touchant à l’acte même permettant de notifier cette levée, tel que prévu dans le contrat de travail.

En l’espèce, un contrat de travail prévoyait que la clause de non-concurrence devait être levée par l’employeur par l’envoi au salarié d’un courrier recommandé.

Un employeur avait, en dépit de cette formulation, décidé de lever oralement la clause et de confirmer à son salarié cette levée, par l’envoi d’un courriel.

La Cour de Cassation ne s’y est pas trompée, en appliquant strictement la clause à la lettre et en décidant, malgré une levée antérieure au départ du salarié, que ladite clause de non-concurrence produisait toujours ses effets à l’issue de la rupture du contrat de travail, faute d’une levée régulière (Cass, Soc. 21 octobre 2020, n°19-18.399).

II. La réciprocité et l’équilibre contractuel, enjeux de la libération de l’employeur de ses obligations

Profitant de la méconnaissance des règles par certains employeurs, des salariés n’hésitent pas à revenir vers eux, parfois plusieurs mois après la rupture du contrat de travail, pour solliciter le paiement de la contrepartie financière d’une clause s’avérant être toujours en vigueur.

Bien que les développements précédents nous invitent à imaginer une situation défavorable pour l’employeur, il n’en reste pas moins qu’un certain nombre de tempéraments bienvenus existent.

Tout d’abord, l’engagement étant synallagmatique (c’est à dire impliquant une réciprocité des obligations), nulle contrepartie financière ne saurait être versée à un salarié qui serait aller travailler pour la concurrence (Cass, Soc. 27 mars 2008, n°07-40.195) : ce rappel logique au regard des fondements du droit des obligations rejoint une certaine forme d’éthique, et évite ce qui constituerait une double peine pour l’employeur.

C’est d’ailleurs sur le fondement de la réciprocité et même de l’équilibre contractuel que la jurisprudence entend désormais se fonder pour apprécier la validité de la clause de non-concurrence, même lorsque cela contrevient à l’intérêt du salarié.

Ainsi, dans un arrêt très récent, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation est ainsi venue opérer un contrôle de validité de la clause de non-concurrence, mais en se plaçant de l’autre côté du miroir (Cass, Soc. 4 novembre 2020, n°19-12.279).

En l’espèce, une clause de non-concurrence avait été conclue entre un salarié et son employeur, en fixant des conditions – pour le moins surprenantes :

1- La clause ne pouvait, en aucun cas, faire l’objet d’une levée : ce qui inéluctablement engageait les parties à être liées, quel que soit l’issue de la relation contractuelle.

2- Le paiement de la contrepartie financière devait être effectué en une seule fois, à l’issue de cette rupture : de sorte que l’employeur ne disposait plus du moyen d’agir sur la contrepartie financière , dans l’hypothèse d’une inexécution de l’engagement par le salarié.

3- Le montant de la contrepartie financière était disproportionné par rapport au périmètre d’application de l’obligation de non-concurrence (deux départements), et à l’étendue des interdictions.

Sur la base de ces constats, la Cour d’Appel de DOUAI a jugé que cette clause était dépourvue de toute cause licite, en raison de la disproportion manifeste des obligations incombant à chaque partie : la Cour de Cassation a confirmé.

Si les conditions de signature de la clause (salarié haut placé à même de pouvoir négocier son contenu, et difficultés économiques subies par la Société) ont très certainement pesé dans la balance, il est clair que les juges se sont surtout attachés à l’épineuse question de l’équilibre contractuel, en adoptant une position protectrice de l’employeur.

A cet égard, une fois n’est pas coutume, cette jurisprudence semble nous inviter à nous rattacher au mouvement anti « golden parachute » qui, depuis une vingtaine d’année, s’est astreint à baisser le montant des indemnités contractuelles de licenciement disproportionnées (voir en ce sens Cass, Soc. 18 juillet 2000, n°98-41.033) : mais alors que la Cour de Cassation s’était placée sur le terrain de l’atteinte à la liberté d’entreprendre (une telle clause empêchant de facto l’employeur de licencier le salarié, eu égard à son coût), elle préfère, s’agissant de la clause de non-concurrence, revenir à la théorie classique du droit des obligations relative à l’équilibre des engagements.

Cela revient finalement à dire que si la clause de non-concurrence est conditionnée par le versement d’une contrepartie financière, encore faut-il que celle-ci soit raisonnable.

En conclusion, afin d’éviter les désagréments inhérents à la levée de la clause de non-concurrence, les employeurs pourraient être avisés, dès la signature du contrat de travail, de vérifier scrupuleusement sa rédaction, puis d’apprécier d’ores et déjà le coût d’un tel engagement au regard de ses avantages : reste qu’en réalité, dans bien des cas, l’intérêt principal de la clause de non-concurrence est de dissuader le salarié de projeter de partir à la concurrence, avant même que la tentation ou la sollicitation n’ait concrètement surgi.

Bernard RINEAU, Avocat associé

Kevin CHARRIER, Avocat en droit social