Comment faire évoluer le loyer en cours de bail commercial ?

Une nouvelle année, un nouvel exercice comptable ou un nouveau trimestre amènent toute partie à un bail commercial à s’interroger sur l’opportunité ou la possibilité de faire varier à la hausse ou à la baisse le montant du loyer commercial.

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La période inflationniste à laquelle nous sommes aujourd’hui confrontés cristallise cette problématique.

Preneur ou bailleur, le statut des baux commerciaux organise des régimes légaux permettant de faire réviser le loyer en cours de bail, à votre demande, qu’il soit indexé ou non (I).

Ces règles permettent, en cours de bail, de réajuster le montant du loyer à la valeur locative du bien loué.

Néanmoins, en dehors de ces régimes, les parties sont toujours libres de fixer le loyer au montant sur lequel elles se sont accordées, même indépendamment de la valeur locative (II).

       I. LA REVISION LEGALE DU LOYER

Le loyer du bail commercial peut être réévalué à la hausse ou à la baisse en cours de contrat.

Le statut des baux commerciaux prévoit en effet des régimes de révision du loyer, que le locataire et le bailleur peuvent tous deux utiliser.

Les deux principaux régimes sont :

  • La révision triennale (A)
  • La révision du loyer indexé (B)

Ces règles consistent toujours à faire fixer le loyer révisé à la valeur locative, comme le prévoit l’article L.145-33 du code de commerce.

Il est donc toujours essentiel, pour le preneur comme le bailleur, de connaître la valeur locative du bien objet du bail avant d’engager tel ou tel régime de révision du loyer, et ce afin d’éviter des mauvaises surprises.

A. La révision triennale

1) Conditions d’application du régime

La valeur locative des bâtiments commerciaux est susceptible d’évoluer sensiblement sur plusieurs années.

Le bail commercial ayant une durée minimale de neuf ans, le risque en cours de bail de décorrélation du loyer applicable avec la valeur locative est important.

Dans ces conditions, la loi prévoit un régime de révision, lequel est d’ordre public, à l’article L.145-38 du code de commerce :

« La demande en révision ne peut être formée que trois ans au moins après la date d’entrée en jouissance du locataire ou après le point de départ du bail renouvelé. La révision du loyer prend effet à compter de la date de la demande en révision.

De nouvelles demandes peuvent être formées tous les trois ans à compter du jour où le nouveau prix sera applicable.

Par dérogation aux dispositions de l’article L. 145-33, et à moins que ne soit rapportée la preuve d’une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative, la majoration ou la diminution de loyer consécutive à une révision triennale ne peut excéder la variation de l’indice trimestriel des loyers commerciaux [ILC] ou de l’indice trimestriel des loyers des activités tertiaires [ILAT] mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l’article L. 112-2 du code monétaire et financier, intervenue depuis la dernière fixation amiable ou judiciaire du loyer. Dans le cas où cette preuve est rapportée, la variation de loyer qui en découle ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l’année précédente.

En aucun cas il n’est tenu compte, pour le calcul de la valeur locative, des investissements du preneur ni des plus ou moins-values résultant de sa gestion pendant la durée du bail en cours. »

attention

La procédure de révision triennale légale ne peut être mise en œuvre que si le loyer est applicable depuis trois ans, au moins.

Le point de départ de ce délai de trois ans court à compter soit :

  • de « la date d’entrée en jouissance du locataire », qui correspond en réalité à la date d’effet du bail, et non pas à la date à laquelle le preneur est réellement entré dans les lieux ou la date de signature du bail[1] ;
  • de la prise d’effet du bail renouvelé ;
  • de la dernière fixation amiable ou judiciaire du loyer.

Ce délai de trois ans constitue un minimum et toute clause qui aurait pour effet de faire échec à la révision triennale de manière générale, ou à cette seule condition particulière, serait nulle et de nul effet.

Après l’expiration de ce délai de trois ans, la demande en révision peut être faite par le bailleur, ou par le preneur, à tout moment, mais elle agira toujours rétroactivement.

Autrement dit, le nouveau loyer révisé ne sera dû qu’à compter du jour de la demande de révision.

2) Mise en œuvre du régime

a.  Première règle de principe : la révision du loyer à la valeur locative

L’article L. 145-33 du code de commerce dispose :

« Le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative.

A défaut d’accord, cette valeur est déterminée d’après :

1° Les caractéristiques du local considéré ;

2° La destination des lieux ;

3° Les obligations respectives des parties ;

4° Les facteurs locaux de commercialité ;

5° Les prix couramment pratiqués dans le voisinage ;

Un décret en Conseil d’Etat précise la consistance de ces éléments. »

En principe, la révision du loyer prévue à l’article L.145-38 du code de commerce permet de faire fixer le loyer à la valeur locative.

Il est donc primordial, tant pour le bailleur que pour le preneur, de connaître cette valeur locative ou au besoin de se rapprocher d’un expert immobilier pour la faire fixer, avant de faire toute demande de révision du bail.

b. Deuxième règle de principe : le plafonnement du loyer révisé

Le loyer révisé est plafonné au taux de variation indiciaire correspondant (ILC ou ILAT[2]), entre la dernière fixation amiable ou judiciaire du loyer et la demande de révision du loyer.

Ce plafonnement légal permet de prévenir le locataire commercial des risques d’une augmentation excessive du loyer pouvant nuire à son activité.

Ainsi, lorsque la valeur locative est supérieure au plafond calculé conformément à l’article L.145-38 du code de commerce, le loyer révisé ne sera pas fixé à la valeur locative du local, mais à la valeur de ce plafond, tout au plus.

  • Il convient donc de calculer le plafond applicable au loyer révisé pour vérifier l’opportunité, tant pour le bailleur que pour le preneur, de demander la révision triennale du loyer :
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c. Exception : le déplafonnement du loyer révisé sous réserve d’un système de lissage

L’article L.145-38 du code de commerce précise que le loyer révisé est fixé à la valeur locative sans plancher ni plafond, sous deux conditions :

  •  et lorsque cette modification notable a entraîné une variation de plus de 10% de la valeur locative.

Lorsque ces conditions sont réunies, seul un système de lissage[4] limite l’augmentation du loyer d’une année à l’autre à 10 %.

Cela impose de facturer le loyer en considération d’un échéancier respectant ce lissage.

Ce système de lissage instauré au bénéfice du locataire représente une perte sèche pour le bailleur, qui ne peut pas la récupérer ultérieurement.

En résumé, le schéma ci-dessous permet de visualiser le raisonnement juridique à suivre pour la révision triennale du loyer :

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En résumé, le schéma ci-contre permet de visualiser le raisonnement juridique à suivre pour la révision triennale du loyer :

B.      La révision du loyer indexé

1)      Conditions d’application du régime

Par définition, le régime de révision du loyer indexé s’applique aux loyers soumis à une clause d’indexation.

L’indexation permet, en cours de bail, d’organiser une évolution du loyer sur la variation d’un indice.

Cette évolution du loyer en cours de bail due à l’indexation peut être particulièrement importante en fonction de l’indice choisi, au point que le législateur a souhaité en limiter les effets.

En effet, en cas de variation de l’indice d’indexation de plus de 25% depuis le dernier loyer fixé contractuellement, le loyer risque d’être décorrélé de la valeur locative, ce qui contreviendrait à l’esprit de l’article L.145-33 du code de commerce, lequel prévoit que le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre, en principe, à la valeur locative.

Ainsi, il a été prévu, à l’article L.145-39 du code de commerce, la possibilité pour les parties de demander la révision du loyer, lorsque la variation du loyer par l’indexation depuis le dernier loyer contractuellement fixé est de plus de 25 % :

« En outre, et par dérogation à l’article L. 145-38, si le bail est assorti d’une clause d’échelle mobile, la révision peut être demandée chaque fois que, par le jeu de cette clause, le loyer se trouve augmenté ou diminué de plus d’un quart par rapport au prix précédemment fixé contractuellement ou par décision judiciaire. La variation de loyer qui découle de cette révision ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l’année précédente. »

  • Il convient donc de vérifier que le seuil des 25% est dépassé au jour où vous souhaitez faire une demande de révision du loyer indexé :

D’abord, le loyer applicable au jour de la demande selon la clause d’indexation doit être calculé.

Par la suite, la formule de calcul générale est la suivante :

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Le montant obtenu correspond au pourcentage de variation du loyer par le jeu de l’indexation depuis la dernière fixation contractuelle (ou judiciaire) du loyer.

Si ce montant est supérieur à 25, la demande de révision peut être formulée.

2)       Mise en œuvre du régime

Dans les conditions exposées ci-avant, les parties pourront chacune demander la révision du loyer indexé pour qu’il soit fixé à la valeur locative. 

L’article R. 145-22 al.1 du code de commerce précise :

« Le juge adapte le jeu de l’échelle mobile à la valeur locative au jour de la demande. »

Autrement dit, en cas de demande de révision du loyer indexé, le loyer sera fixé à la valeur locative du bien loué, au jour de ladite demande.

Il faut donc déjà connaître la valeur locative du bien pour savoir s’il vous est judicieux, en tant que bailleur ou preneur, de faire cette demande de révision.

Par ailleurs, cette fixation du loyer à la valeur locative n’est soumise à aucun plafond ni plancher[6].

Seul, là encore, un système de lissage, prévu à l’article L.145-39 du code de commerce, limite l’augmentation du loyer d’une année à l’autre à 10 % :

« La variation de loyer qui découle de cette révision ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l’année précédente. »

Il convient de facturer le loyer en considération d’un échéancier respectant ce lissage prévu par le statut des baux commerciaux.

attention

Ce système de lissage instauré au bénéfice du locataire représente une perte sèche pour le bailleur, qui ne peut pas la récupérer ultérieurement.

En résumé, le schéma suivant permet de visualiser le raisonnement juridique à suivre pour la révision du loyer indexé.

    II. L’accord des parties

En cours de bail, les parties sont toujours libres de renoncer aux règles légales et modifier conventionnellement le montant du loyer[7].

Cependant, lorsque les parties concluent en cours de bail un avenant modifiant le loyer sans modifier la clause d’indexation initialement stipulée, elles provoquent une distorsion illicite au sens de l’article L.145-39 du code de commerce.

Par conséquent, en cas de signature d’un avenant dont l’objet ou l’un des objets est la modification du loyer, il est impératif d’aménager la clause d’indexation du bail dans l’avenant.

Par ailleurs, il doit être retenu qu’une modification du loyer conventionnelle, et non judiciaire, constituera une modification notable des obligations respectives des parties intervenue en cours de bail dans des conditions étrangères à la loi et justifiant, à elle seule, le déplafonnement[8].

Néanmoins, pour constituer un motif de déplafonnement, la modification du loyer doit être suffisamment notable : une faible modification du prix ne justifierait pas le déplafonnement[9].

 III. CONCLUSION

Quelle que soit l’option choisie, l’évolution du montant du loyer commercial est encadrée par le statut des baux commerciaux, à l’exception de certaines clauses insérées dès l’origine, au stade de la formation du contrat.

La révision triennale comme la révision de loyer indexé peuvent conduire à des pertes financières pour le bailleur si ces procédures sont mises en œuvre sans vérifications préalables.

Le cabinet RINEAU & ASSOCIES est en mesure de vous accompagner dans vos problématiques relatives au loyer de votre bail commercial, que vous soyez preneur ou bailleur, afin de vous permettre de faire le choix le plus stratégique dans l’intérêt de votre entreprise.

Maître Amélie LEFEBVRE

Avocat associé

Maître Charlotte QUILLIER

Avocat


[1] Cass. Civ. 3ème, 19 mai 1971, Bull. civ. III n°322

[2] ILC = indice des loyers commerciaux, s’appliquant aux activités commerciales et artisanales ; ILAT = indice des loyers des activités tertiaires, s’appliquant aux activités tertiaires autres que les activités commerciales et artisanales, notamment les activités professionnelles libérales et celles effectuées dans des entrepôts logistiques.

[3] Il s’agit du dernier loyer fixé par contrat de bail, par avenant, ou judiciairement. On ne peut pas prendre comme comparaison le dernier loyer indexé.

[4] Article L.145-38 du code de commerce : « Dans le cas où cette preuve est rapportée, la variation de loyer qui en découle ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l’année précédente. »

[5] Il s’agit du dernier loyer fixé par contrat de bail, par avenant, ou judiciairement. On ne peut pas prendre comme comparaison le dernier loyer indexé.

[6] Cass. 3ème Civ., 3 novembre 2016, n°15-17.905

[7] Cass. Civ. 3ème, 10 décembre 2002, n°01-10.208

[8] Cass. Civ. 3ème, 15 février 2018, n°17-11.866 et 04-12.358 ; Cass. 3e civ., 4 avr. 2001, n° 99-18.899

[9] Fasc. 1420 : Bail commercial – Loyer du bail renouvelé – Règles générales (C. com., art. L.145-34), Jehan-Denis BARBIER