Conséquences fiscales de l’apport de titres dans le cadre d’une restructuration : différé d’imposition ou imposition immédiate ?

Cet article vise spécifiquement le régime fiscal applicable à la plus ou moins-value résultant d’un apport de titres détenus par une personne physique au bénéfice d’une société de capitaux ou assimilée soumise à l’impôt sur les sociétés (IS).

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Au préalable, il convient de noter que les plus-values résultant de cessions à titre onéreux (vente, apport, échange, partage, etc…) de valeurs mobilières et de droits sociaux, réalisées directement par une personne physique ou par une personne interposée, sont en principe imposables (CGI, art. 150-0 A).

Toutefois, selon le cas en présence, le législateur prévoit soit un régime de sursis d’imposition (A) soit un régime de report d’imposition (B). Depuis la loi de finances rectificative pour 2016, l’éventuelle soulte est quoi qu’il en soit imposée (C).

A. Le dispositif de sursis d’imposition

1. Les conditions d’application de sursis d’imposition

En application de l’article 150-0 B du CGI, un dispositif de sursis d’imposition s’applique automatiquement aux plus et moins-values résultant de certaines opérations d’échange de titres à l’occasion, notamment, d’un apport de titres à une société soumise à l’impôt sur les sociétés (IS).

Globalement, le sursis d’imposition s’applique aux conditions cumulatives suivantes :

  • L’opération d’apport est réalisée à compter du 1er janvier 2000 ;
  • La société bénéficiaire de l’apport est soumise à l’IS ;
  • la société bénéficiaire de l’apport n’est pas contrôlée par l’apporteur ;
  • le montant de la soulte (distincte d’une indemnisation de rompus), reçue éventuellement par l’apporteur, n’excède pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus.  Cette condition s’apprécie au niveau de chaque contribuable concerné. En l’absence de valeur nominale des titres, cette condition s’apprécie par rapport au pair comptable de ces mêmes titres.

Depuis le 1er janvier 2017, la plus-value correspondant au montant de la soulte est imposée immédiatement (cf. point C).

2. Les conséquences du sursis d’imposition

  • L’année de l’échange des titres

L’année de l’échange des titres, le régime du sursis d’imposition de la plus ou moins-value d’échange s’applique automatiquement sans que le contribuable n’ait besoin d’en faire la demande (opération intercalaire).

En cas d’échanges successifs de titres, le sursis d’imposition s’applique de la même façon, toutes conditions étant remplies.

En conséquence, au titre de l’année de l’échange des titres, la plus ou moins-value n’est ni constatée, ni déclarée.

Nb : l’absence de déclaration nécessite que le contribuable veille à mettre en place un suivi (preuve).

  • L’année de la cession, du rachat, du remboursement ou de l’annulation des titres

Tout d’abord, il convient de noter que la cession, le rachat, le remboursement ou l’annulation des titres reçus à l’échange entraîne l’imposition de la plus-value nette en sursis d’imposition.

S’agissant de l’assiette, le gain net taxable est calculé à partir du prix ou de la valeur d’acquisition des titres remis à l’échange, le cas échéant diminué de la soulte reçue qui n’a pas fait l’objet d’imposition au titre de l’année de l’échange, ou majoré de la soulte versée.

S’agissant du taux, le gain net taxable est soumis au régime d’imposition en vigueur l’année de la cession (ou rachat, remboursement, annulation) des titres remis à l’échange.

En l’occurrence, si la cession intervient en 2019, le gain net taxable sera soumis soit, au PFU (taux global de 30%) soit, pour les titres acquis avant le 1er janvier 2018, sur option expresse et irrévocable du contribuable, au barème progressif de l’IR après application de certains abattements le cas échéant (CGI, art. 150-0 D).

Nb : l’option au barème progressif de l’IR est une option globale.

B. Le dispositif de report d’imposition

1. Les conditions d’application du report d’imposition

En application de l’article 150-0 B ter du CGI, les plus-values d’apport de titres réalisées, directement ou indirectement, par une personne physique au bénéfice d’une société soumise à l’IS et contrôlée par l’apporteur sont soumises au régime du report d’imposition.

Nb : les moins-values d’apport de titre sont exclues du régime du report d’imposition.

Globalement, le report d’imposition s’applique aux conditions cumulatives suivantes :

  • L’opération d’apport est réalisée à compter du 14 novembre 2012.
  • La société bénéficiaire de l’apport est soumise à l’IS.
  • L’apport est réalisé par une personne physique domiciliée fiscalement en France dans le cadre de la gestion de son patrimoine privé soit directement, soit par l’intermédiaire de sociétés ou groupements « translucides » soumis au régime des sociétés de personnes visées à l’article 8 du CGI.
  • la société bénéficiaire de l’apport est contrôlée par l’apporteur. Le contrôle est apprécié à la date de l’apport.
  • le montant de la soulte (distincte d’une indemnisation de rompus) reçue éventuellement par l’apporteur n’excède pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus.

Depuis le 1er janvier 2017, la plus-value correspondant au montant de la soulte est imposée immédiatement (cf. point C).

2. Les conséquences du report d’imposition

  • L’année de l’échange des titres

Les règles d’assiette et de liquidation de la plus-value d’échange des titres sont celles en vigueur l’année de l’apport (Cons. const. 22-4-2016 n° 2016-538 QPC).

Ainsi, la plus-value réalisée au titre de l’opération d’apport est déterminée dans les conditions prévues à l’article 150-0 D du CGI et les traitements suivants sont susceptibles de s’appliquer s’agissant :

  • des apports réalisés entre le 1er janvier 2013 et le 31 décembre 2017 : application du seul abattement de droit commun ou renforcé mentionné à l’article 150-0 D, 1 du CGI dans sa rédaction en vigueur jusqu’au 31 décembre 2017 (CGI art. 200 A, 2 ter-a-2°).
  • des apports réalisés à compter du 1er janvier 2018 : PFU ou, s’agissant des titres acquis avant le 1er janvier 2018, option globale pour le barème progressif après application éventuelle de certains abattements le cas échéant (CGI, art. 150-0 D).

Nb : lorsque les titres apportés ont été reçus dans le cadre d’une opération d’échange relevant de l’article 150-0 B du CGI, la plus-value d’apport est calculée à partir du prix ou de la valeur d’acquisition des titres précédemment échangés, le cas échéant minoré de la soulte reçue, ou majoré de la soulte versée lors de cet échange.

Par ailleurs, dans le mesure où le report d’imposition a pour effet de cristalliser tant la plus-value que l’impôt lui-même, la règle de taxation est celle en vigueur à la date de l’apport (taux historique) en matière d’IR, de prélèvements sociaux et de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus.

En d’autres termes, l’imposition effective de la plus-value est décalée jusqu’à l’événement mettant fin au report d’imposition.

  • L’année de l’événement mettant fin au report

L’imposition effective de la plus-value aura lieu l’année durant laquelle intervient l’un des événements suivants mettant fin au report :

  • la cession à titre onéreux, le rachat, le remboursement ou l’annulation des titres reçus en contrepartie de l’apport ;
  • la cession à titre onéreux, le rachat, le remboursement ou l’annulation des titres apportés à la société bénéficiaire dans un délai de trois ans à compter de l’apport, sauf si la société bénéficiaire s’engage à réinvestir dans un délai de deux ans, à compter de la cession, au moins 60 % du produit de la cession dans une activité économique.
  • la cession à titre onéreux, le rachat, le remboursement ou l’annulation des parts ou droits dans les sociétés ou groupements interposés.
  • le contribuable transfère son domicile fiscal hors de France dans les conditions prévues à l’article 167 bis du CGI au titre de « l’exit tax ».

Nb : le maintien du report d’imposition n’est plus limité à deux opérations successives entrant dans le champ des articles 150-0 B et 150-0 B ter s’agissant des opérations d’apports ou d’échanges réalisés à compter du 1er janvier 2016.

C. Le régime fiscal application à la soulte dans le cadre du dispositif de sursis et de report d’imposition

Avant la loi de finances rectificative pour 2016, la plus-value résultant d’une opération d’échange de titres qui donnait lieu au versement d’une soulte inférieure à 10 % de la valeur nominale des titres échangés pouvaient être placées sous le régime du sursis ou du report d’imposition.

L’effet d’aubaine était le suivant : appréhender une partie de la trésorerie excédentaire d’une société en franchise totale d’impôt à concurrence d’un montant égal à la soulte.

Globalement, la pratique fut donc la suivante :

  • Les praticiens appliquaient régulièrement cette soulte ;
  • L’administration fiscale appliquait régulièrement l’abus de droit, pour fraude à la loi.

Depuis la loi de finances rectificative pour 2016, la mise en place d’une soulte inférieure à 10% de la valeur nominale des titres échangés est une pratique qui n’a plus d’intérêt fiscal.

En effet, bien que la soulte soit inférieure à 10% de la valeur nominale des titres et qu’elle soit justifiée d’un point de vue fiscal, la plus-value d’échange de titres est soumise à une imposition immédiate à concurrence du montant de cette soulte.

En conséquence, le régime fiscal actuel appelle deux remarques :

  • La mise en place d’une soulte dans le cadre d’une opération d’échange de titres n’a plus « d’intérêt fiscal » ;
  • La mise en place d’une soulte supérieure à 10 % de la valeur nominale des titres entraîne la taxation immédiate et intégrale de la plus-value d’échange de titres.

D. Conclusion

Afin de garantir l’application du régime fiscal actuel du sursis ou du report d’imposition de la plus-value d’échange de titres assortie d’une soulte, il convient d’être vigilant concernant la détermination de cette soulte.

A ce titre, l’attention doit notamment être portée sur le fait que :

  • Le montant de la soulte est un calcul « en dedans » ;
  • Le montant de 10% est déterminé sur la base de la valeur nominale des titres hors prise en compte de la prime d’émission, le cas échéant (Cons. const. 16-6-2017 n° 2017-638 QPC).

Marc TEGNÉR, Avocat
Bernard RINEAU, Avocat Associé