DROIT DU TRAVAIL : Focus sur la notion de licenciement brutal et vexatoire

Le domaine disciplinaire, en droit du travail, se concentre essentiellement sur la question de la validité du licenciement, eu égard à son caractère réel et sérieux.

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Il est d’ailleurs constant que la majorité des contentieux introduits par les salariés, devant le Conseil de Prud’hommes, concerne une contestation du bien-fondé des motifs de rupture du contrat de travail.

Il appartient alors à l’employeur de démontrer, à l’appui d’éléments concrets, que la mesure de licenciement est justifiée par une cause réelle et sérieuse, caractérisée soit par une faute du salarié, soit par un motif économique, soit par un motif personnel non disciplinaire, tel que l’inaptitude, ou l’insuffisance professionnelle.

Il est constant que depuis les barèmes « MACRON », prévus par l’article L.1235-3 du Code du travail, un certain nombre de salariés, ayant une faible ancienneté dans l’entreprise, ont déploré une limitation de l’indemnisation de leur préjudice subi du fait d’un licenciement.

Il a alors été constaté une tendance à ce que soient ajoutées aux prétentions des salariés, devant les Conseils de Prud’hommes, des demandes relatives à l’indemnisation des préjudices dits « distincts du licenciement ».

Parmi ces préjudices distincts, figure la notion de licenciement brutal et vexatoire, laquelle renvoie non pas aux motifs qui viennent justifier le licenciement, mais aux conditions dans lesquelles ce dernier a été prononcé, ou a été exécuté.

Ainsi, dès lors que le salarié a subi un préjudice, indépendant de la rupture de son contrat de travail, du fait du comportement adopté par son employeur à son égard, dans le cadre du licenciement, celui-ci est en droit de demander réparation des dommages subis (Cass, Soc. 30 mai 1995, n°93-43.854).

Très récemment, la Cour de Cassation est venue rappeler que la cause réelle et sérieuse de licenciement, et la notion de licenciement brutal et vexatoire, étaient strictement indépendantes l’une de l’autre.

En outre, pour la Cour de Cassation, un licenciement peut donc parfaitement être justifié par une cause réelle et sérieuse, mais avoir été prononcé, ou exécuté, dans des conditions brutales et vexatoires (Cass, Soc. 16 décembre 2020, n°18-23.966).

Dans le cas d’espèce, le salarié avait été licencié pour faute grave, du fait de plusieurs vols et de consommation de drogues sur son lieu de travail.

Il convient de préciser alors que l’employeur ne s’était pas fait prier pour raconter à l’ensemble des membres du personnel, ainsi qu’à des tiers, que le salarié concerné était un voleur et un drogué, cette situation causant à ce dernier un préjudice de réputation.

Si les juges du fond ont incontestablement considéré que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse, ils ont par ailleurs rejeté la demande du salarié afférente à la reconnaissance d’un licenciement brutal et vexatoire.

Cette décision a néanmoins été censurée par la Cour de Cassation, laquelle a considéré que dès lors que le licenciement s’était déroulé dans des conditions objectivement vexatoires, le préjudice subi par le salarié devait nécessairement être indemnisé, qu’importe que l’employeur ait été parfaitement légitime à licencier celui-ci du fait de la gravité de ses manquements.

Le licenciement brutal et vexatoire renvoie dès lors à la notion civiliste « d’abus de droit » (I.).

Il nous laisse néanmoins légitimement nous interroger sur ses limites, dès lors qu’il est trop souvent instrumentalisé, aux fins de contourner la limitation de l’indemnisation du licenciement du fait des barèmes Macron (II.).

I. Le licenciement brutal et vexatoire, la consécration d’un abus dans l’exercice par l’employeur de son droit de licencier

Le droit civil a toujours admis la notion d’abus de droit qui se définit par l’exercice, d’une manière déraisonnable, d’une prérogative offerte par la réglementation.

En droit du travail, et plus particulièrement en droit du licenciement, l’abus de droit renvoie à un comportement de l’employeur, jugé indélicat et volontairement maladroit, dans l’exercice d’une procédure de licenciement.

Il s’agit, en quelque sorte, pour la jurisprudence, d’introduire une certaine morale dans le cadre de la rupture du contrat de travail, morale qui imposerait à l’employeur de ne pas porter préjudice à son salarié, au-delà de la légitime mesure de licenciement qui va s’imposer à lui.

Il est tout d’abord demandé à l’employeur, de ne pas communiquer sur les raisons qui l’ont amené à licencier le salarié, notamment lorsque les faits reprochés constituent une atteinte à son honneur (commission d’une infraction pénale, affaire de mœurs, déloyauté du salarié, etc…) (Cass, Soc. 25 février 2003, n°00-42.031).

La jurisprudence impose alors à l’employeur une certaine obligation de discrétion qui ne trouve pourtant nullement sa cause dans un engagement contractuel.

Cette position jurisprudentielle est alors critiquable, notamment lorsque les faits sont d’une telle gravité qu’il devient nécessaire pour l’employeur de communiquer en interne sur la mesure de licenciement, dans le but d’assurer une véritable transparence à l’égard de la communauté de travail, ou même de rassurer les salariés sur le départ d’un élément nuisible.

C’est le cas notamment lorsque le licenciement concerne, par exemple, un salarié qui aurait été l’auteur de faits de harcèlement sexuel, ou moral, sur les autres collaborateurs.

Ce fut également le cas dans l’affaire KERVIEL, dans laquelle la Société Générale avait été condamnée par le Conseil des Prud’hommes de PARIS, en raison de la médiatisation de l’affaire.

Il conviendra néanmoins de préciser que la Cour d’Appel de PARIS a finalement infirmé ce jugement, considérant que la médiatisation était légitime et qu’elle s’était inscrite dans une logique de transparence de la Banque, accusée d’avoir été responsable des pertes colossales enregistrées du fait des agissements de son trader salarié.

Dans le cadre de la mise en œuvre des procédures de licenciement, il est également demandé à l’employeur de ne pas humilier le salarié, en adoptant à son égard un comportement dégradant qui ne serait pas justifié par le contexte dans lequel la rupture intervient (Cass, Soc. 21 mai 2014, n°13-13.808).

Tel est le cas, par exemple, lorsque l’employeur convoque le salarié par l’intermédiaire d’un huissier de justice, alors qu’il aurait tout à fait été en mesure de se contenter d’une simple lettre recommandée.

Il est de surcroît demandé à l’employeur de ne pas accompagner la procédure de licenciement de propos blessants et agressifs, sous peine, là encore, d’engager sa responsabilité, quand bien même la mesure de licenciement est fondée, en son principe.

A également été reconnue comme étant brutale et vexatoire, la rupture du contrat de travail s’accompagnant d’une interdiction faite au salarié d’aller saluer ses collègues pour les informer de son départ (Cass, Soc. 27 septembre 2017, n°16-14.040).

Le champ du caractère brutal et vexatoire n’étant nullement limité par la jurisprudence, l’employeur doit donc rester attentif à son comportement, en adoptant, en toute circonstance, une attitude modérée et courtoise à l’égard du salarié licencié.

II. Le licenciement brutal et vexatoire, une notion bien trop souvent instrumentalisée en justice

La pratique judiciaire permet de constater que la notion de licenciement brutal et vexatoire est trop souvent instrumentalisée, aux fins notamment d’obtenir une indemnisation supplémentaire, en complément de celle obtenue du fait de la disqualification du bien-fondé du licenciement.

Ce constat a surtout été confirmé depuis l’instauration des barèmes Macron, lesquels ont eu pour effet de limiter l’indemnisation du préjudice des salariés licenciés, ayant une faible ancienneté dans l’entreprise.

Bien souvent, les praticiens du droit du travail remarquent que la demande d’indemnisation d’un préjudice pour licenciement brutal et vexatoire est confondue avec celle découlant de la rupture du contrat de travail.

Tel est le cas, par exemple, lorsque les motifs du licenciement mettent en cause l’honneur du salarié (vol, harcèlement, faits de mœurs, etc…).

La tendance est alors de considérer que les motifs adoptés par l’employeur sont en soit vexatoires.

Néanmoins, les juges du fond viennent régulièrement préciser que cette demande de reconnaissance d’un licenciement brutal et vexatoire ne devait aucunement renvoyer à la motivation du licenciement, le préjudice issu de celle-ci étant déjà indemnisé par l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, laquelle est limitée par les barèmes Macron (CA de GRENOBLE, 7 avril 2022, n°20/01022).

L’autre point d’instrumentalisation réside dans les tentatives de dramatiser le contexte de la rupture du contrat de travail, pour en tirer un élément vexatoire.

Ce constat nous rappelle néanmoins que le licenciement d’un salarié est, par principe, et nécessairement, attentatoire à son ego, de sorte qu’il peut être ressenti comme vexatoire, alors même que les juges considèrent légitimement que l’employeur n’a commis aucun abus de droit.

Tel est souvent le cas lorsque le salarié est licencié pour faute grave.

En effet, dans ce type de procédures, il est courant que le salarié reçoive en main propre une convocation à un entretien préalable, avec mise à pied conservatoire avec effet immédiat, et soit amené soudainement, du jour au lendemain, à devoir quitter l’entreprise.

Dans cette situation, qui peut décemment considérer que la procédure n’est nullement vexatoire, alors que le salarié est privé de tout contact avec son entreprise, et notamment ses collègues, et qu’il se voit couper l’intégralité de ses accès informatiques ?

Pourtant, en procédant de la sorte, l’employeur ne commet aucun abus de droit, celui-ci exerçant les prérogatives prévues par le Code du travail, qui permettent d’évincer soudainement un salarié de l’entreprise, dès lors que des faits constitutifs d’une faute grave lui sont reprochés.

Se pose alors la question de l’application du principe de nécessité, lequel permet de différencier un licenciement illégitimement brutal et vexatoire, d’un licenciement pour lequel les motifs justifient une certaine violence morale à l’égard du salarié.

C’est alors au juge de se positionner au-delà de l’instrumentalisation opérée par le salarié, en analysant si la fin en justifiait les moyens, et le cas échéant, indemniser ou non le salarié en conséquence.

Comme bien souvent, en matière indemnitaire, il convient donc de prendre en compte que tout préjudice n’est pas forcément indemnisable.

C’est d’ailleurs le constat qui ressort du principe même des barèmes Macron, lesquels ont entendu instaurer une limitation de l’indemnisation du préjudice lié à la rupture du contrat de travail, en fonction de l’ancienneté du salarié.

Ce dispositif a néanmoins conduit le Comité Européen des Droits Sociaux, au début du mois d’octobre, à considérer les barèmes Macron comme contraires à la Charte Sociale Européenne.

A noter, sur ce point, que la décision du Comité n’a aucune valeur contraignante, les barèmes Macron restant pleinement applicables, notamment depuis les arrêts de la Cour de Cassation du 11 mai 2022 (n°21-15.247 et n°21-14.490).

Kévin CHARRIER, Avocat