Inaptitude du salarié et consultation des élus du personnel – une précision jurisprudentielle attendue lorsque le reclassement est exclu par le Médecin du travail – (Cass, Soc. 8 juin 2022, n°20-22.500)

L’inaptitude physique du salarié est une situation bien souvent perçue par les employeurs comme particulièrement risquée, notamment lorsque celle-ci conduit au licenciement du salarié, faute de solution de reclassement pouvant être trouvée dans l’entreprise ou le Groupe.

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Paradoxalement, la jurisprudence est ainsi venue faire peser sur l’employeur un important risque financier attenant à la procédure de licenciement pour inaptitude, alors même que cette dernière découle d’une situation tout à fait étrangère à l’entreprise, l’inaptitude renvoyant en réalité à une impossibilité pour le salarié d’exécuter ses fonctions en raison de son état de santé.

L’employeur doit alors veiller au respect d’un formalisme strict.

Outre le fait de devoir se conformer aux prescriptions du Médecin du travail relatives à un éventuel aménagement de poste, l’employeur va également devoir communiquer avec les élus du personnel de l’entreprise (les membres du CSE) sur les solutions de reclassement pouvant être proposées au salarié, par l’intermédiaire de la procédure d’information consultation.

La consultation des élus est donc devenue une étape incontournable de la procédure de licenciement pour inaptitude.

Sur ce point, la jurisprudence est même venue préciser que cette consultation était obligatoire, même lorsqu’aucune solution de reclassement ne pouvait être proposée au salarié, faute de poste disponible dans l’entreprise (Cass, Soc. 30 septembre 2020, n°19-16.488).

A défaut d’avoir consulté les élus, l’employeur s’expose alors à ce que le licenciement soit reconnu par le juge comme dépourvu de cause réelle et sérieuse.


L’évolution des modes de travail a néanmoins modifié quelque peu les formes d’inaptitudes pouvant être subies par les salariés, de sorte que de nouvelles maladies, à l’instar du « burn out », ont conduit les Médecins du travail à prononcer de plus en plus souvent des inaptitudes définitives, en excluant de mettre à la charge de l’employeur une obligation de reclassement dans l’entreprise ou le Groupe, eu égard à l’état de santé dégradé du salarié.

Dans cette hypothèse, nul ne sert alors de rechercher une solution de reclassement ou d’aménagement de poste, le salarié pouvant être directement licencié dans les jours qui suivent la reconnaissance de l’inaptitude (Article L.1226-2-1 du Code du travail).

Se pose néanmoins la question de l’obligation faite à l’employeur de consulter les élus du personnel dans cette situation, lorsque le Médecin du travail a expressément exclu toute solution de reclassement.

En effet, très curieusement, le législateur n’a pas entendu, dans cette hypothèse, exonérer expressément l’employeur de son obligation d’information consultation… alors même que cette procédure, à défaut de reclassement possible, est parfaitement dépourvue d’objet. 

Durant des années, les praticiens du droit du travail ont donc été contraints de naviguer à l’aveugle, préférant dans le silence des textes, ne prendre aucun risque.

C’est ainsi que même lorsque le Médecin du travail dispensait l’employeur de reclasser son salarié, il était vivement conseillé à celui-ci de procéder quand même à une information consultation des élus.

Ce qui était donc absurde.

C’était sans compter l’intervention de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation laquelle, dans un arrêt du 8 juin 2022 (n°20-22.500), est venue enfin clarifier la position du législateur.


I – La fin d’un vide juridique concernant l’obligation de consulter les élus lorsque le Médecin du travail a lui-même prévu une impossibilité de reclassement

Dans son arrêt du 8 juin 2022 (n°20-22.500), la Chambre Sociale de la Cour de Cassation est venue préciser les dispositions de l’article L.1226-10 du Code du travail (prévoyant l’obligation de consultation des élus en matière de proposition de reclassement) et celles de l’article L.1226-12 (lesquelles offrent au Médecin du travail la possibilité de dispenser l’employeur de rechercher des solutions de reclassement).

La Cour de Cassation, pour la première fois, vient ainsi de préciser que lorsqu’une telle dispense était accordée par le Médecin du travail, l’employeur n’avait pas l’obligation de consulter les élus.

Même si de nombreux praticiens ont quelque peu anticipé cette décision, qui avait déjà été reprise par certaines Cour d’Appel, le principe de sécurité juridique imposait qu’une position claire et sans nuance soit enfin prise par la Cour de Cassation à ce sujet.

Cette réflexion est d’autant plus vraie qu’il s’agit en l’espèce d’un arrêt de cassation, la Cour d’Appel de CHAMBERY, dont la décision avait fait l’objet du pourvoi, ayant pour sa part disqualifié le bien fondé du licenciement pour inaptitude de la salariée, à raison, justement, d’un défaut de consultation des élus.


Il convient de relever que cette décision s’inscrit dans le seul contexte des inaptitudes découlant d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail (dénommées plus communément, dans le Code du travail, « inaptitudes professionnelles »).

Néanmoins, il ne fait nul doute que cette solution peut être transposée aux inaptitudes non professionnelles (ne découlant ni d’un accident du travail, ni d’une maladie professionnelle), le régime applicable étant par nature moins strict.

Il sera d’ailleurs relevé que les textes concernant ces deux types d’inaptitudes sont sensiblement rédigés dans les mêmes termes.


Certains se sont étonnés du temps pris par la Cour de Cassation, pour opérer cette clarification, alors que la loi réformant le régime de l’inaptitude est entrée en vigueur au mois d’août 2016.

Il sera néanmoins rappelé que dans cette espèce le litige est passé par tous les stades de la procédure, c’est à dire devant le Conseil de Prud’hommes, puis la Cour d’Appel de CHAMBERY.

Dans cette espèce, la salariée avait été licenciée au mois de novembre 2017.

Quoi qu’il en soit, si cette solution a le mérite désormais d’exister, il est néanmoins désolant que la jurisprudence soit contrainte d’attendre la dernière étape d’un contentieux pour trancher une question qui, en réalité, dépasse largement les intérêts personnels de la salariée concernée.

Il convient d’ailleurs de relever que contrairement à d’autres sujets tout aussi sensibles (comme les « barèmes Macron »), la Cour de Cassation n’avait jamais été saisie de cette question pour simple avis.

En tout état de cause, cette décision a pour mérite de simplifier les procédures de licenciement pour inaptitude, dès lors que le Médecin du travail dispensera l’employeur de tenter de reclasser le salarié.

II – Une solution de bon sens allégeant le formalisme des procédures de licenciement pour inaptitude

Par sa décision du 8 juin 2022, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation a ouvertement pris position en faveur d’un allégement des obligations de l’employeur en matière d’information / consultation des élus.

Ainsi, l’employeur est désormais protégé par la jurisprudence lorsque celui-ci décide de ne pas consulter les élus à la suite d’un avis d’inaptitude du Médecin du travail précisant que le salarié ne peut être reclassé dans son emploi, compte tenu de son état de santé.

Il s’agit là d’une solution de bon sens dans la mesure où la consultation des élus est censée porter non pas sur l’inaptitude du salarié, d’une manière générale, qui reste à la seule appréciation du Médecin du travail, mais sur les solutions de reclassement en elle-même.

Dès lors, consulter les élus, alors qu’aucune solution de reclassement ne peut être proposée au salarié, constitue une perte de temps préjudiciable à l’entreprise, laquelle ne pourra déclencher la procédure de licenciement sans avoir mené à bien la procédure d’information consultation.

Cette solution est également salutaire dans la mesure où elle replace le principe de la consultation des élus au centre de ce qu’il devait toujours être, à savoir la protection des intérêts des salariés dont le licenciement est inéluctable.

Ainsi, à quoi bon informer les élus dès lors que le déclenchement de la procédure de licenciement ne relève pas de l’appréciation de l’employeur, mais de celle du Médecin du travail.


Attention toutefois à ne pas confondre l’obstacle à tout reclassement reconnu par le Médecin du travail avec le reclassement impossible.

En effet, dans cette dernière hypothèse, l’impossibilité de reclassement découle de la situation même de l’entreprise dans laquelle aucun poste vacant ne correspondant aux préconisations du Médecin du travail.

Lorsque c’est l’employeur qui identifie cette impossibilité de reclassement, la consultation des élus demeure ainsi toujours obligatoire.

Pour cause, les élus vont justement devoir apprécier concrètement et se prononcer sur cette réalité avancée par l’entreprise.


Il ne reste plus dès lors à déplorer que cette solution provienne non pas du législateur, mais bien de la Cour de Cassation, qui en matière de droit du travail a toujours eu pour habitude de construire des solutions juridiques dans le silence de la loi.

Il n’en reste pas moins que l’arrêt du 8 juin 2022 demeure l’un des plus attendus de l’année judiciaire tant cette question avait fait couler beaucoup d’encre, et forcé l’ensemble des praticiens à faire preuve de prudence dans la mise en œuvre des procédures de licenciement pour inaptitude.


Cass, Soc. 8 juin 2022, n°20-22.500 : la Cour de Cassation précise pour la première fois que lorsque le Médecin du travail dispense expressément l’employeur, dans le cadre de l’avis d’inaptitude, de tenter de reclasser son salarié inapte, celui-ci n’est pas contraint de consulter le Comité Social et Economique (CSE).

Maître Bernard RINEAU

Maître Kévin CHARRIER