La réduction de capital social non motivée par des pertes par rachat-annulation serait-elle encore la voie royale du cash-out ?

Jusqu’à présent, le bénéfice du régime des plus-values prévu par l’article 112,6° du CGI en cas de réduction de capital par rachat-annulation n’était remis en cause que sur le fondement de l’abus de droit.

office-1209640_1920

I- L’intérêt fiscal des réductions de capital non motivée par des pertes par rachat-annulation : l’application du régime des plus-values

Cette opération permet en effet aux associés d’être imposés selon le régime des plus-values, conformément à ce que prévoit l’article 112,6° du CGI, et d’éviter le régime des revenus distribués, le plus souvent défavorable (au moins pour les personnes physiques).

Jusqu’à présent, le bénéfice du régime des plus-values prévu par l’article 112,6° du CGI en cas de réduction de capital par rachat-annulation n’était remis en cause que sur le fondement de l’abus de droit[1].

II- La remise en cause de l’application du régime des plus-values en l’absence d’abus de droit

Par une décision du 16 avril 2024, la Cour administrative d’appel de Bordeaux propose une nouvelle interprétation de l’article 112, 6° permettant d’exclure du bénéfice du régime des plus-values les réductions de capital non motivées par des pertes opérées par voie de rachat-annulation sans avoir besoin de démontrer un abus de droit.

La Cour administrative d’appel de Bordeaux estime ainsi d’une manière entièrement novatrice que « dès lors que [la] réduction de capital n’était pas motivée par des pertes, elle s’est traduite par une répartition, au profit des associés, de sommes qui, eu égard à la finalité même de l’opération, répond au régime fiscal prévu au 1°) de l’article 112 du CGI et non au 6°) du même article ».

III- Une décision hautement contestable

La lecture de l’article 112, 6° du CGI proposée par la Cour administrative d’appel de Bordeaux est tout simplement contra legem : elle paraît contraire tant à la lettre de l’article 112, 6° du CGI qu’à son esprit.

S’agissant de la lettre, l’article 112, 6° dispose précisément : « Ne sont pas considérés comme revenus distribués : 6°) Les sommes ou valeurs attribuées aux associés ou actionnaires au titre du rachat de leurs parts ou actions. Le régime des plus-values prévu, selon les cas, aux articles 39 duodecies, 150-0 A ou 150 UB est alors applicable ».

L’article ne distingue pas selon que le rachat soit ou non suivi de l’annulation des titres.

S’agissant de son esprit, l’article 112, 6° du CGI a été modifié en 2015 pour se conformer à une décision du Conseil constitutionnel qui avait jugé que toutes les distributions résultant d’un rachat de titres devaient être imposées selon le même régime, et le législateur a choisi le régime des plus-values[2].

Enfin, il est intéressant de noter que la doctrine administrative elle-même retient explicitement que les opérations de rachat-annulation effectuées dans le cadre de réductions de capital non motivées par les pertes relèvent du régime des plus-values[3]. L’argument est heureusement soulevé par le contribuable, au nom de l’opposabilité de la doctrine administrative (article L. 80 A du Code de procédure fiscale), mais se trouve écarté par la Cour pour un motif confus.

Conclusion : Sauf à retenir une interprétation contra legem et probablement inconstitutionnelle de l’article 112, 6° du CGI, le Conseil d’Etat, s’il est saisi, ne pourra, nous semble-t-il, que casser cet arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux.

Maître Marc TEGNÉR

Avocat associé

Monsieur Augustin BESLIER

Juriste


[1] A ce propos, le Professeur Gutmann, dans ses développement consacrés à « La réduction du capital dans le cadre d’un rachat par une société de ses propres titres » relève que « Les avantages présentés par le régime des plus-values ont conduit un certain nombre de contribuables à privilégier le rachat de titres par rapport à la distribution de dividendes [il est bien question ici des rachats-annulations dans le cadre de réductions de capital non motivées par des pertes, ndla]. Il s’en est suivi un nombre significatif de redressements fondés sur l’abus de droit dont le comité de l’abus de droit livre petit à petit l’analyse. Il en résulte – en très résumé – qu’il existe un abus de droit lorsque le rachat de titres est effectué de manière récurrente et constitue un montage artificiel, contraire de ce fait à l’intention poursuivie par le législateur, ayant pour seul but de permettre à cet associé d’appréhender des distributions et de bénéficier du régime des plus-values », D. Gutmann, Droit fiscal des affaires, LGDJ 14e éd., 2023, n° 693.

[2] « À la suite de cette décision [du Conseil constitutionnel du 20 juin 2014], la loi de finances rectificative pour 2014 a donc prévu que les gains réalisés à compter de 2015 par les associés ou actionnaires au titre du rachat de leurs parts ou actions seraient imposables selon le seul régime des plus-values. La rupture d’égalité entre les différents types de rachats de titres était ainsi réparée », D. Gutmann, Droit fiscal des affaires, LGDJ 14e éd., 2023, n° 693.

[3] BOI-BIC-PVMV-30-30-80. Le Bofip vise l’article L. 225-207 du Code de commerce, qui dispose que « L’assemblée générale qui a décidé une réduction de capital non motivée par des pertes peut autoriser le conseil d’administration ou le directoire, selon le cas, à acheter un nombre déterminé d’actions pour les annuler ». Cette rédaction est équivalente à celle de l’article L. 223-34 du Code de commerce, applicable aux SARL, qui dispose dans son dernier alinéa que « L’achat de ses propres parts par une société est interdit. Toutefois, l’assemblée qui a décidé une réduction du capital non motivée par des pertes peut autoriser le gérant à acheter un nombre déterminé de parts sociales pour les annuler ».