La réintégration du salarié consécutive à la nullité du licenciement

« Chacun sait que les armes de dissuasion ne sont efficaces que si on ne s’en sert pas » (Emil CIORAN – Des Larmes et des Saints).

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Par ces mots, Emil CIORAN résume à lui seul le principe même de la sanction qui, pour produire ses effets, doit par nature inspirer la crainte.

Le droit du travail a, au fil des années, des lois et des jurisprudences, étoffé le principe de la sanction pesant sur l’employeur, en appliquant un panel de mesures et de condamnations qui diffèrent selon la règle de droit qui aurait été violée.

Toutefois, les Ordonnances dites « Macron » du 22 septembre 2017, et ses barèmes codifiés à l’article L.1235-3 du Code du travail, ont mis à mal le principe de dissuasion en permettant de sécuriser le risque de condamnation de l’employeur en fonction de l’ancienneté du salarié, et ainsi de limiter pour ce dernier le quantum des condamnations lorsque celui-ci se trouve depuis peu dans les effectifs de l’entreprise.

Pourtant, le législateur s’est résolu à conserver, dans son panel de sanctions, le principe de la nullité du licenciement, en cas de violation de certaines règles d’ordre public (à l’instar notamment de la prohibition des discriminations, du statut protecteur des salariés élus ou titulaires de certaines prérogatives, ou encore de la sauvegarde des libertés fondamentales).

De fait, il n’existe pas de sanction plus dissuasive pour l’employeur que l’annulation d’une mesure de licenciement.

En effet, outre l’aspect financier significatif de cette sanction, il existe un corollaire tout à fait problématique pour l’employeur : l’obligation de réintégrer le salarié qui en ferait la demande, parfois plusieurs mois, voire plusieurs années, après son départ de l’entreprise.

Rappelons que cette réintégration est en réalité issue directement de la théorie civiliste des nullités, laquelle commande de considérer que l’acte anéanti n’a tout simplement jamais existé.

Ainsi, contrairement à la sanction du licenciement pour absence de cause réelle et sérieuse (ou abusif), pour laquelle l’employeur se voit offrir la possibilité de refuser la réintégration de son salarié, le Code du travail prévoit qu’en matière de nullité du licenciement, ledit employeur ne peut, en principe, s’opposer à celle-ci lorsqu’elle est demandée par l’ancien collaborateur (articles L.1235-3-1 et L.1235-11 du Code du travail).

Dès lors, la réintégration devient l’enjeu principal de la nullité du licenciement, tant d’un point de vue moral pour le salarié, que pratique pour l’employeur, puisque le salarié peut revendiquer la reprise de son poste comme s’il n’avait jamais quitté l’entreprise.

Néanmoins, nous constatons que la réintégration est bien souvent instrumentalisée pour devenir une stratégie financière à part entière (I).

Pour autant, le principe évoqué ci-avant n’est pas absolu, la réintégration pouvant, dans un certain nombre de cas, être refusée au salarié qui en ferait la demande (II).

I – Le principe de la réintégration, au service de la stratégie financière du salarié

La question de la réintégration du salarié, consécutive à l’annulation de son licenciement par un Conseil de Prud’hommes, ou une Cour d’Appel, peut paraître tout à fait curieuse lorsqu’on connaît les délais afférents aux procédures sociales.

Ainsi, nous pourrions légitimement penser qu’il est peu probable qu’un salarié sollicite de pouvoir reprendre son poste, ou un poste équivalent, parfois plusieurs années après un licenciement.

Outre le fait que bien souvent celui-ci a retrouvé un autre emploi (qui par principe, doit le conduire à vouloir s’investir pour le compte de son nouvel employeur), l’aspect moral peut paraître tout aussi dissuasif, dans la mesure où revenir au service de son ancien employeur, à l’origine de son licenciement, ferait légitimement craindre à l’intéressé de subir une relation de travail détériorée.

Pourtant, bien souvent, la réintégration apparaît être une solution financière tout à fait intéressante pour le salarié, lequel peut alors « instrumentaliser » cette sanction au profit uniquement de son intérêt pécuniaire.

Cela est d’autant plus vrai lorsque le salarié entend démissionner de son emploi dans lequel il vient d’être réintégré, dès lors qu’il aura perçu les indemnités afférentes à cette réintégration. 

En outre, l’indemnisation consécutive à l’annulation d’un licenciement diffère selon que le salarié sollicite sa réintégration ou non.

En effet, dans l’hypothèse d’une réintégration dans son emploi, le salarié aura potentiellement droit au versement d’une indemnisation couvrant l’intégralité des salaires qu’il aurait dû percevoir entre son éviction et son retour effectif dans l’entreprise (Cass, Soc. 25 janvier 2006, n°03-47.517).

Cette indemnisation, laquelle peut paraître excessive pour l’employeur, et même injuste au regard de l’absence de prestation de travail fournie par le salarié durant sa période d’éviction, est en réalité une stricte application de la théorie des nullités qui prévoit, on l’a vu, une remise en état des parties comme si le licenciement n’avait jamais existé.

A contrario, lorsque le salarié ne sollicite pas sa réintégration, le Code du travail vient poser comme principe le versement d’une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois (Articles L.1235-3-1 et L.1235-11 du Code du travail).

Ne bénéficiant que d’un plancher d’indemnisation, le juge qui constaterait le refus du salarié de se voir réintégré pourrait alors s’abstenir de lui accorder une indemnité conséquente.

Néanmoins, et contrairement au salarié réintégré, le salarié ne sollicitant pas sa réintégration se verra également verser une indemnité compensatrice de préavis et une indemnité de licenciement, s’il ne les a pas déjà perçues au moment de la rupture de son contrat de travail (Cass, Soc. 9 octobre 2001, n°99-44.453 ; Cass, Soc. 2 juin 2004, n°02-41.045).

L’intérêt financier de solliciter la réintégration, ou non, va alors dépendre d’un certain nombre de facteurs, d’autant plus que la Cour de Cassation juge de manière pragmatique que doit être déduit de l’indemnisation du salarié réintégré, le montant des allocations chômage et des revenus perçus de la part d’un autre employeur durant sa période d’éviction (Cass, Soc. 12 février 2008, n°07-40.413).

Ce faisant, la réintégration n’aura un intérêt financier que dans les hypothèses suivantes :

  • Annulation du licenciement et réintégration intervenue tardivement depuis le départ des effectifs de l’entreprise ;
  • Longue période de chômage ;
  • Salaires perçus durant la période d’éviction se situant à un niveau bien inférieur à l’ancienne rémunération.

Le cas échéant, l’absence de réintégration pourra, dans un certain nombre de cas, devenir plus intéressante d’un point de vue financier, d’autant plus lorsque le salarié bénéficiait d’une importante rémunération et d’une forte ancienneté ayant pour effet d’augmenter de manière significative le montant des indemnités de rupture (indemnité compensatrice de préavis et indemnité de licenciement).

Le choix de la réintégration doit donc être opéré en analysant de manière minutieuse la situation particulière du salarié.

Enfin, notons que la Cour de Cassation a très récemment voulu mettre un terme aux demandes de réintégration abusives, en limitant l’indemnisation du salarié lorsque celle-ci était sollicitée à la dernière minute, notamment dans une optique financière exclusive et évidente.

Ainsi, par un arrêt du 13 janvier 2021, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation a jugé que dans cette hypothèse, le salarié n’avait droit qu’au paiement des rémunérations correspondant à la période se situant entre la demande de réintégration et sa reprise de poste effective (Cass, Soc. 13 janvier 2021, n°19-14.050).

Compte tenu de cette position jurisprudentielle, les salariés devront désormais, s’ils souhaitent bénéficier d’une indemnisation à la hauteur de la totalité de leur période d’éviction, solliciter leur réintégration dès le début de la procédure.

Il convient néanmoins de garder à l’esprit que la réintégration n’est pas un principe absolu, car celle-ci peut tout à fait, dans certaines hypothèses, s’avérer impossible – ou tout simplement être refusée par les juges.

II- La réintégration du salarié, un principe qui n’est pas absolu

Il serait inopportun d’envisager la question de la réintégration comme une prérogative universelle du salarié ayant bénéficié d’une décision d’annulation de son licenciement.

En effet, il existe des situations dans lesquelles, par le fait des choses, la réintégration est devenue objectivement impossible, voire impensable.

Cette hypothèse est d’ailleurs envisagée directement par le Code du travail, dans ses articles L.1235-3-1 et L.1235-11.

Ce principe de limitation de la réintégration a surtout été érigé par le législateur pour faire face aux réalités économiques qui veulent que certaines entreprises puissent tout simplement avoir déposé le bilan, et se trouver en cessation d’activité après liquidation, entre le moment du licenciement du salarié, et l’annulation de celui-ci (Cass, Soc. 20 juin 2006, n°05-44.256).

Mais au-delà de ce cas particulier, la jurisprudence a ouvert progressivement de nouvelles limites à ce principe de réintégration du salarié, dont certaines sont fondées sur un aspect beaucoup plus moral que juridique.

Ainsi, la Cour de Cassation a dû trancher certains litiges dans lesquels, de manière parfaitement paradoxale, des salariés sollicitaient à la fois la résiliation judiciaire de leur contrat de travail, en raison des manquements de leur employeur, et leur réintégration dans l’entreprise.

Rappelons à ce titre que toute résiliation judiciaire d’un contrat de travail d’un salarié protégé, ou d’un salarié ayant été victime de harcèlement, discriminations, ou d’une violation de ses libertés fondamentales, produit les effets d’un licenciement nul.

Néanmoins, dans cette hypothèse, la Cour de Cassation considère de manière constante que la réintégration est tout simplement impossible (Cass, Soc. 27 janvier 2021, n°19-21.200).

Sur ce point, il devient alors difficile de justifier ces décisions autrement que par un postulat moral voulant qu’on ne puisse à la fois solliciter la rupture du lien contractuel, et son maintien.

C’est d’ailleurs la même logique qui anime la jurisprudence eu égard à la prise d’acte : là encore, le salarié ne peut, à la fois, de sa propre initiative, d’une part rompre le contrat de travail, et, d’autre part, demander de pouvoir être réintégré à son poste (Cass, Soc. 30 juin 2010, n°09-41.456).

Il existe également d’autres situations dans lesquelles la jurisprudence a entendu priver le salarié de son droit à la réintégration.

Tel est par exemple le cas lorsqu’un salarié aura, depuis son licenciement, liquidé ses droits à la retraite (Cass, Soc. 14 novembre 2018, n°14-14.932).

Là encore, la Cour de Cassation a entrepris de construire une solution cohérente avec la réalité objective de la situation du salarié, lequel, étant pris en charge par le régime d’assurance vieillesse, ne peut, en pratique, bénéficier de celle-ci sans avoir totalement rompu son lien avec son employeur.

Fort de ce mouvement jurisprudentiel de limitation des causes de réintégration du salarié, certains se sont engouffrés dans la brèche et ont tenté de soulever, de manière relativement ingénieuse, l’hypothèse d’une impossibilité de réintégrer un salarié occupant un nouvel emploi.

Néanmoins, et alors même que l’existence d’un autre lien contractuel devrait logiquement empêcher le salarié de revenir chez son ancien employeur, la Cour de Cassation a très récemment jugé que cette situation ne faisait nullement obstacle à la réintégration (Cass, Soc. 10 février 2021, n°19-20.397).

Cette solution jurisprudentielle, bien que critiquable sur le principe, n’en reste pas moins une véritable bouée de sauvetage pour une réintégration qui demeure de moins en moins attrayante pour les salariés, d’un point de vue financier.

Ainsi, fermer la porte à toute possibilité de réintégration à des salariés ayant refait leur vie professionnelle, reviendrait à réduire considérablement les demandes relatives à celle-ci du fait de l’écoulement du temps entre le licenciement et la décision judiciaire faisant droit à ladite réintégration.

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Il n’en demeure pas moins que la réintégration reprend tout son sens lorsque celle-ci intervient dans un laps de temps réduit depuis le licenciement.

Tel est le cas, lorsqu’elle est demandée en référé, en raison de l’existence d’un trouble manifestement illicite (licenciement d’un salarié sans autorisation administrative ou en raison de la dénonciation de faits de harcèlement moral par exemple) (Cass, Soc. 25 novembre 2015, n°14-17-551).

La réintégration devient alors pour l’employeur une sanction dissuasive en ce qu’elle oblige celui-ci, au-delà de l’aspect financier relatif au paiement des salaires depuis l’éviction, à reprendre le salarié dans une équipe qu’il venait à peine de quitter, ce qui constitue pour ce dernier une sorte de victoire morale.

L’entreprise se doit alors de faire preuve d’une vigilance accrue quant aux différentes causes amenant à la nullité d’un licenciement, notamment lorsque cette cause de nullité est manifestement avérée ou qu’elle est non sérieusement contestable.

Bernard RINEAU, Avocat associé

Kévin CHARRIER, Avocat en droit social