La souffrance de quelques-uns peut-elle justifier le recours aux aidants sexuels ? Libres propos sur une question complexe

Dans une société qui développe progressivement une forte intolérance à la différence et à la souffrance, les inégalités naturelles deviennent des objets si scandaleux qu’il conviendrait soit de les compenser, soit de les nier : l’égalité en droit et en dignité se voit ainsi lentement substituer une injonction d’égalité en fait.

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Les exemples de cette dérive pernicieuse se font de plus en plus nombreux. On songe ainsi à la loi sur le « mariage pour tous » venue compenser l’infertilité naturelle des couples de même sexe en leur ouvrant la possibilité d’adopter des enfants, ou bien encore aux discussions actuelles sur la PMA et la GPA projetant d’aller plus loin encore sur cette voie.

Dans tous ces cas, l’impératif de la satisfaction du désir individuel parait devoir supplanter l’intérêt des enfants, des plus faibles.

On pense encore à toutes les initiatives récentes de « discrimination positive » qui, en favorisant artificiellement des individus considérés comme n’ayant pas bénéficié des mêmes chances que d’autres, défavorisent volontairement ces derniers : une égalité de fait est recherchée, aux forceps, au prix d’une discrimination, selon des critères plus ou moins arbitraires, soumis aux aléas des vicissitudes passagères de la politique et de la communication.

Le sujet des aidants sexuels paraît s’inscrire dans ce vaste mouvement aux résonances anthropologiques :

Certaines personnes handicapées ne pouvant aisément, par leur état, accéder au plaisir sexuel, quelques-uns ont suggéré l’aide de personnes, rémunérées ou non, pour leur faciliter l’accès à cette jouissance, par le moyen d’approches pouvant aller jusqu’à la pénétration.

Présentées comme sous-tendue par de bons sentiments, cette tentative comporte-t-elle des inconvénients ? Existe-t-il un risque de violer les droits ou la dignité d’une catégorie de personnes au bénéfice d’une autre ?

Aidants sexuels : ce que dit la loi

Il ne fait nul doute que la pratique des aidants est doublement proscrite par la loi.

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D’une part, rémunérés ou non, les intermédiaires facilitant la rencontre entre une personne handicapée et un aidant sexuel se rendent coupable de proxénétisme.

En effet, l’article 225-5 du Code Pénal énonce que :

« Le proxénétisme est le fait, par quiconque, de quelque manière que ce soit :1° D’aider, d’assister ou de protéger la prostitution d’autrui ;
2° De tirer profit de la prostitution d’autrui, d’en partager les produits ou de recevoir des subsides d’une personne se livrant habituellement à la prostitution ;
3° D’embaucher, d’entraîner ou de détourner une personne en vue de la prostitution ou d’exercer sur elle une pression pour qu’elle se prostitue ou continue à le faire.
Le proxénétisme est puni de sept ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende. »

Il est intéressant de relever que, dans le code pénal, les infractions relatives au proxénétisme figurent dans une section d’un chapitre intitulé « Les atteintes à la dignité de la personne humaine ».

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D’autre part, depuis la Loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées, il est interdit d’acheter des actes sexuels : l’article 611-1 du Code pénal prévoit que l’infraction de recours à la prostitution est punie d’une contravention de cinquième classe (amende de 1 500 euros). En cas de récidive, l’amende est portée à 3 750 euros. Une peine complémentaire de stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels est également prévue.

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A rebours de l’état du droit positif, les partisans de la légalisation des aidants sexuels invoquent l’article premier de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, lequel énonce que « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. » Ils relèvent ensuite que les personnes handicapées, étant des êtres humains, ont nécessairement les mêmes droits que les valides : sur ces prémices, ils ajoutent qu’aider ceux qui ne le peuvent pas à accéder à la sexualité peut alors constituer un devoir en vue de garantir l’égalité.

Conçue, après guerre, comme un rempart protecteur de l’individu contre le totalitarisme, la convention est à présent utilisée comme cheval de Troie de l’individualisme contre l’état de droit.

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En l’état des textes, il n’en demeure pas moins que la mise à disposition d’aidants sexuels, par exemple par un établissement de soins, reste passible de la qualification de proxénétisme, tandis que l’achat des services de ces aidants sexuels par les personnes handicapées est interdit.

Aidants sexuels et compensation du handicap

En 2005, la France s’est dotée d’une loi dite « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » (Loi n° 2005-102 du 11 février 2005), laquelle a notamment créé un droit à la compensation, dû par la collectivité aux personnes en situation de handicap.

Son article 11 (retranscrit dans l’article L.114-1-1 du Code de l’Action sociale et des famille) prévoit ainsi que « la personne handicapée a droit à la compensation des conséquences de son handicap quels que soient l’origine et la nature de sa déficience, son âge ou son mode de vie ».

La Prestation de Compensation du Handicap (PCH), créée par la loi pour permettre ce droit à la compensation, peut être versée en espèces (pour le paiement des aides humaines par exemple) ou en nature (pour le financement d’aides techniques, l’aménagement du logement…)

Comme le note Madame Anne-Sophie PARISOT, attachée parlementaire, à l’occasion d’un article de 2008 :

« La compensation du handicap trouve ses racines dans les débats qui ont agité le Parlement, suite aux développements de l’arrêt Perruche en janvier-février 2002. Afin de contourner les conséquences de cet arrêt qui aurait conduit des parents à aller devant un tribunal pour réclamer la réparation intégrale, pour leur enfant, du préjudice d’être né handicapé, le législateur a préféré instaurer une compensation intégrale du handicap, assumée par la solidarité nationale. »

On se souvient que l’arrêt Perruche avait provoqué un débat important en 2002, puisque l’arrêt rendu par la Cour de Cassation revenait à indemniser une sorte de « préjudice d’être né ».

Madame PARISOT ajoute que :

« Tous les juristes connaissent, dans les cas d’accidents gravissimes de la route donnant lieu à procès, l’indemnisation du « préjudice sexuel ». (…) Longtemps intégré par les tribunaux au sein de l’incapacité permanente puis du préjudice d’agrément, le préjudice sexuel a récemment acquis, grâce à la jurisprudence, une existence autonome. (…) Dans le cas d’un handicap lourd, qui ne serait pas d’origine accidentelle, mais lié à la naissance, à une pathologie, ou à un accident de la vie, il peut y avoir une altération des facultés sexuelles. (…) Le préjudice pour la personne est le même. Par conséquent, si le législateur a posé le principe d’une compensation intégrale du handicap (…) il ne peut en exclure celui de la sexualité, un des droits essentiels de l’être humain. »

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Cependant, le 4 octobre 2012, à la demande du gouvernement, le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) a rendu un avis n°118 indiquant que :

« Délivrer un service sexuel à la personne handicapée entraîne des risques importants de dérives. D’une part, les bénéficiaires sont des personnes vulnérables et susceptibles d’un transfert affectif envers l’assistant sexuel possiblement source de souffrance ; d’autre part, rien ne peut assurer que l’assistant sexuel lui-même ne va pas se placer en situation de vulnérabilité par une trop grande implication personnelle dans son service. (…)

L’accompagnement embrasse des aspects relationnels, de réciprocité, de gratuité, alors que l’aide renvoie davantage à une réponse mécanique. Ainsi, on imagine mal que les personnes souffrant d’un handicap physique isolé se contentent d’une satisfaction par l’aide sexuelle. Elles ont, au même titre que toute personne (valide ou non), un besoin beaucoup plus large d’une vie sexuelle découlant d’une relation affective. L’aide sexuelle, même si elle était parfaitement mise en œuvre par des personnels bien formés, ne saurait à elle seule répondre aux subtiles demandes induites par les carences de la vie affective et sexuelle des personnes handicapées

Certaines associations estiment que la mise en place des services d’aidants sexuels, en France, pourrait s’inscrire dans la démarche de compensation du handicap promue par la loi du 11 février 2005. ” La personne handicapée a droit à la compensation des conséquences de son handicap quels que soient l’origine et la nature de sa déficience, son âge ou son mode de vie.” (Art. L. 114-1-1). S’il existe de fait des droits liés à la sexualité (droit à une contraception, droit à une sexualité sans grossesse non désirée), pour autant on ne peut en déduire que la situation sexuelle spécifique des personnes handicapées doit être « indemnisée » par l’État comme si ce dernier était à l’origine du préjudice. C’est bien au seul plan de la solidarité et au nom des principes éthiques que la question se pose. L’affirmation contraire risquerait d’aller dans le sens de « l’émiettement des droits subjectifs » que le Doyen Carbonnier discernait dans les sociétés actuelles. En résumé : à toute liberté ne correspond pas un devoir à assumer par la collectivité. Force est de constater que de nombreuses personnes, hors tout handicap, ont des difficultés dans leur vie affective et sexuelle et que cela n’ouvre aucun « devoir » de la part de la société vis à vis d’elles. »

Aidants sexuels : situation dans les autres pays

La pratique des aidants sexuels n’a commencé à être discutée que récemment : cette pratique heurte de plein fouet la morale traditionnelle en occident, largement irriguée de principes chrétiens. De plus, jusqu’aux années 60, la majorité des personnes handicapées, moteur comme mentales, étaient prises en charges dans des institutions religieuses.

Dès les années 70, la baisse de la pratique religieuse a commencé à susciter le débat sur la question des aidants sexuels.

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Dans les années 80, les USA ont été le premier pays à reconnaître le statut d’assistant sexuel (sexual surrogates).

Notons, et c’est important, que, en raison du risque d’attachement de l’aidé à l’aidant, les USA limitent à 12 le nombre de « sessions » avec le même Aidant Sexuel.

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En 1982, en Europe, les Pays-Bas ont créé le premier service d’aide à la vie sexuelle : le SAR17.

En 2007, un service « concurrent » a vu le jour : Flex-Care.

Considérés aux Pays-Bas comme des soins, ces services sont remboursés par l’assurance maladie.

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En 1995, l’Allemagne a mis en place un service de contact corporel (SENSIS) Dans le cadre duquel les aidants sexuels sont rémunérés pour leurs « services ». Mais seuls certains länder autorisent des caresses allant jusqu’à l’acte sexuel. L’opposition la plus forte à ce « service » se rencontre dans le sud de l’Allemagne, encore très catholique.

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En 2002, la Suisse allemande a également mis en place des aidants sexuels (le FABS) et la suisse romande lui a emboîté le pas en 2008 (avec le SEHP).

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Enfin, les services d’aidants sexuels existent également au Danemark, où ils sont pris en charge par l’assurance maladie, et en Catalogne.

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Si ces pays ont décidé d’autoriser la pratique des aidants sexuels, ils demeurent très minoritaires : la grande majorité des pays, comme la France, la proscrivent.

La raison en est que cette pratique heurte de grands principes de nos démocraties occidentales.

L’opposition à la légalisation des aidants sexuels

De son côté, l’Eglise catholique demeure très ferme dans sa dénonciation de la prostitution, comme l’indique le point 2355 de son Catéchisme :

« La prostitution porte atteinte à la dignité de la personne qui se prostitue, réduite au plaisir vénérien que l’on tire d’elle. Celui qui paie pêche gravement contre lui-même : il rompt la chasteté à laquelle l’engageait son Baptême et souille son corps, temple de l’Esprit Saint (cf. 1 Co 6, 15-20). La prostitution constitue un fléau social. Il touche habituellement des femmes, mais aussi des hommes, des enfants ou des adolescents (dans ces deux derniers cas, le péché se double d’un scandale). S’il est toujours gravement peccamineux de se livrer à la prostitution, la misère, le chantage et la pression sociale peuvent atténuer l’imputabilité de la faute. »

Elle n’est pas isolée.

Tout d’abord, la pratique des aidants sexuels entre en collision frontale avec la lutte contre la prostitution, l’un des chevaux de bataille des mouvements féministes.

Ainsi, en novembre 2010, à l’occasion d’une pétition contre l’assistance sexuelle, Madame Maudy PIOT (présidente de FDFA, Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir) écrit :

« Créer ces services serait officialiser les rapports sexuels tarifés, définition même de la prostitution qui, en cette année, Grande Cause 2010, est pourtant clairement intégrée aux violences faites aux femmes (…). Car il ne faut pas se leurrer, 99% des demandes d’assistanat sexuel viennent des hommes ! »

Le 19 mai 2011, à l’occasion d’une tribune publiée dans le Magazine 50-50, Madame PIOT a ajouté que :

« Quel que soit l’habillage sémantique, les aidants sexuels (femmes ou hommes) représenteraient une forme de prostitution professionnalisée et spécialisée. (…) Notons que la demande émane à plus de 80% d’hommes handicapés, et que la réponse… est majoritairement assumée par des femmes. »

Le 21 avril 2011, à l’occasion d’une tribune publiée dans le journal Libération, Madame Roselyne BACHELOT-NARQUIN, alors ministre des solidarités et de la cohésion sociale, s’est également dressée contre la qualification de « soin » que les tenants des aidants sexuels tentent d’attribuer à cette activité :

« Assimiler l’activité d’un aidant sexuel à la dispense d’un soin, c’est pervertir la fonction du “soignant professionnel”, en ignorer la substance éthique (…). L’État, qui n’a pas à intervenir dans l’intime, ne peut rembourser une “prestation” qui contredit tout à la fois notre idéal d’émancipation, notre conception du soin, de la sexualité et du travail. (…) Que vaut une étreinte si elle est tarifée ? »

Le 7 novembre 2011, interviewée sur Europe 1 par Monsieur FOGIEL, elle a ajouté :

« Soit cela relève du bénévolat et des relations interpersonnelles, et l’Etat n’a pas à intervenir, soit ce sont des relations rémunérées et cela s’appelle de la prostitution. »

Dans une tribune publiée par le journal Libération du 20 septembre 2011 , Madame Claudine Legardinier, Pour le collectif féministe Handicap, Sexualité, Dignité, écrit que :

« Les femmes, une nouvelle fois, seront les premières à en payer le prix. La « solution » des assistants sexuels, tiers rémunérés pour prodiguer des actes de nature sexuelle, relève juridiquement – inutile de se cacher derrière son petit doigt – de la prostitution. En quoi un acte prostitutionnel, quel que soit le joli nom qu’on lui donne, pourrait-il faciliter leur accès à une sexualité épanouie et dans la dignité ? La réponse n’est pas dans leur enfermement verrouillé auprès de quelques « aidant(e)s » qui ne feront qu’endormir notre culpabilité et nous épargneront d’être dérangés. (…)

Sait-on que dans ces pays, qui ont prétendu faire de la prostitution un « métier comme un autre » (pour les femmes bien entendu), les bordels usines sont en plein essor ? La prostitution est devenue un service public garanti à la moitié masculine de la population, les proxénètes sont promus au rang d’hommes d’affaires et les clients prostitueurs encouragés à consommer des femmes comme des McDo. Aujourd’hui, les bordels allemands pratiquent soldes, promotions, forfaits tout compris, réductions pour les seniors. La logique capitaliste, qui a fait du commerce du corps des femmes un business florissant, a engendré une explosion de la traite et de la criminalité. Les autorités voudraient bien faire marche arrière mais doivent désormais compter avec le pouvoir économique et politique croissant des tenanciers. »

Madame Anne-Marie DICKELE, rapporteur du CCNE pour son avis n°118, a elle-même déclaré que « 95% des demandes émanant des hommes, il y a un risque de subordination du corps des femmes au désir masculin. »

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Au surplus, créer un service d’aidants sexuels comporte le risque de ghettoïser un peu plus les personnes handicapées, celles-ci étant invitées à rencontrer des partenaires sexuels derrière les murs d’institutions médicalisées, et ce de manière tarifée, perspective sordide s’il en est.

Ainsi, dans sa tribune du 24 mai 2011, Madame PIOT relève que :

« La prostitution, quel que soit son habillage, ne peut constituer une réponse. La réponse n’est pas plus dans l’enfermement des personnes handicapées dans l’attente d’une « prestation » supplémentaire, mais dans l’ouverture de l’environnement en termes de réelle accessibilité, pour permettre la multiplication des opportunités de rencontre. »


Monsieur André DUPRAS, Professeur Associé au Département de Sexologie de l’Université du Québec à Montréal, décrit particulièrement bien ce risque :

« Le danger d’enfermer les personnes handicapées dans un monde artificiel, mécanique et autosuffisant guette et n’est pas négligeable. Cette alternative, au lieu d’inclure la personne handicapée dans la communauté peut, au contraire, l’isoler. Au lieu d’être un mode d’adaptation, le recours à l’aide sexuelle directe risque d’être une inadaptation sociale aux attentes de sexualisation de la personne handicapée. »

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Par ailleurs, la plupart des personnes ayant réfléchi à ce sujet dénoncent les risques graves que cette pratique pourrait faire peser sur les personnes handicapées, en raison de leur faiblesse : faiblesse physiques, mai aussi risque de dépendances affectives, les exposent tout particulièrement à des dérives.

A l’occasion de son avis n°118 du 4 octobre 2012, qle CCNE a d’ailleurs relevé :

« La personne handicapée mentale, par exemple, a une propension à se tourner vers autrui en confiance et les parents peuvent légitimement s’inquiéter du risque d’actes sexuels imposés ou subis, de la survenue d’IST mais aussi des grossesses qui, en outre, véhiculent facilement le spectre de la transmission du handicap. »

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Enfin, beaucoup de personnes handicapées sont très mal à l’aise, et même humiliées, face à la question des aidants sexuels, car elles considèrent que ce genre de procédé consiste à prétendre apporter une solution technique à un problème humain qui ne sera pas résolu, le corps social se débarrassant ainsi à peu de frais de l’humanité des personnes handicapées, lesquelles sont, pour la plupart, bien plus qu’en simple recherche d’une jouissance sexuelle.

Ainsi, Monsieur le professeur André DUPRAS écrit :

« Si la prostitution peut répondre aux besoins d’ordre sexuel, elle ne saurait combler les carences en matière d’affection et de tendresse que cherchent naturellement à assouvir des personnes handicapées. (…)

« Affirmer que l’on fait l’amour pour satisfaire un besoin physique naturel reflète une vision simplifiée de la vie sexuelle. Cet argument consiste à attribuer une essence naturelle à la sexualité, soit celle d’être gouvernée par un besoin sexuel physique qu’il faut satisfaire rapidement, efficacement et sans effort. Pour éviter d’augmenter la misère sexuelle, Stiker (2008) recommande « qu’on ne touche pas à ces questions avec des schémas simplistes, avec la seule idéologie contemporaine : jouissez, jouissez. (…) Il ne suffit pas de dire jouissez pour que la sexualité des personnes handicapées soit reconnue, valorisée et exercée. Il faut aussi du sens. » (p. 240). Les solutions à la misère sexuelle des personnes handicapées ne devraient pas se limiter à soulager un corps sexué et sexualisé, mais également donner à ces personnes des moyens pour faciliter leur relation à l’autre. »

Droit à la jouissance : hypertrophie de l’individualisme

Les personnes handicapées demandeuses d’aidants sexuels ne sont pas les seules personnes privées d’activité sexuelle ou bien en difficulté sur ce point : la solitude se rencontre aussi chez les personnes valides.

Admettre le principe des aidants sexuels pour les handicapés conduira à des problématiques juridiques :

Pourquoi, en effet, ne pas étendre ce « service » aux personnes trop disgracieuses pour rencontrer l’âme sœur ? Aux personnes timides ? Aux personnes âgées ? Aux prisonniers ? Etc.

Ainsi, à l’occasion d’un article publié le 22 avril 2011 sur le site Atlantico, Monsieur Hugues SERRAF, journaliste et écrivain, résumé de manière très imagée :

« Qui aurait vraiment droit à ce service ? Les handicapés, OK, mais il y a handicap et handicap et ils ne sont tout de même pas les seuls à avoir des difficultés à trouver des partenaires. Et si « droit universel à la jouissance » il y a, quid des moches, des boutonneux, des trop grands, des trop petits, des trop gros, des trop maigres, des goitreux à l’haleine fétide et, évidemment, ça va sans dire, des mauvais coucheurs ? »

D’une manière générale, la mise en place des aidants sexuels reviendrait, pour l’Etat, à reconnaître un droit opposable à la jouissance.

Cette tentation d’un droit opposable à la jouissance est particulièrement symptomatique d’un tour d’esprit moderne consistant à conclure de l’existence même d’un être qu’il aurait le « droit au bonheur », là où l’on considère que la difficulté intrinsèque de la vie invite à considérer la possibilité du bonheur, la légitimité de sa recherche, le droit de proscrire les agissements d’autrui s’opposant abusivement à cette recherche ; la sagesse des siècles y a ajouté la distinction et la complémentarité de l’éros et de l’agapé.

L’individu contemporain semble de plus en plus encouragé à succomber au travers du narcissisme et à ne considérer que son intérêt propre, fut-ce au détriment d’autrui : dans cette logique, c’est tout l’univers qui doit servir le désir de l’individu et la sacralité de la personne humaine, dans toutes ses composantes, est perçue comme une vieillerie encombrante et inutile.

Pourtant, il est impossible de nier que l’utilisation du corps d’autrui à des fins exclusives de jouissance personnelle constitue une atteinte très forte à la dignité intrinsèque de cette autre personne, ravalée au statut d’outil sexuel.

A l’occasion de son avis n°118 du 4 octobre 2012, le CCNE en a été très conscient :

« On ne peut évacuer la difficile question de l’instrumentalisation, même consentie, rémunérée ou compassionnelle du corps d’une personne pour la satisfaction personnelle d’une autre. Il ne peut être considéré comme éthique qu’une société instaure volontairement des situations de sujétion même pour compenser des souffrances réelles. Le CCNE considère qu’il n’est pas possible de faire de l’aide sexuelle une situation professionnelle comme les autres en raison du principe de non utilisation marchande du corps humain. »

Ainsi, si l’Etat n’est pas là pour sonder les cœurs et les reins en s’introduisant dans l’intimité des individus, il a en revanche une obligation d’exemplarité qui lui impose de rejeter toute atteinte à la dignité humaine.

La compassion comme éthique

Mais, à l’époque des foules sentimentales, sans autre compas et boussole que l’impétuosité de leurs désirs, comment être encore soucieux de distinguer le bien du mal, le souhaitable de l’indésirable ?

Depuis quelques décennies, la notion même de bien commun passe trop souvent par pertes et profit : une bonne partie de la classe politique recherche d’abord et toujours l’approbation du public, dont sa réélection dépend, et n’a cure des conséquences de renoncements successifs qui s’accumulent jusqu’à l’absurde. De plus en plus de décisions politiques sont ainsi prises à l’issue de campagnes émotionnelles, orchestrées par des lobbys, toujours en exploitant des cas limites pour légitimer une vision de plus en plus dégradante de l’humanité.

L’émotion, la compassion, remplacent le bien public. La dignité de l’individu est sacrifiée aux émotions temporaires d’une actualité emballée. Toute réflexion réellement éthique est rendue impossible par le recours systématique à l’émotion et à la condamnation universelle de tous ceux qui oseraient ne pas pleurer sur le même mode que les donneurs de leçons.

A l’occasion de sa tribune publiée le 19 mai 2011, Madame Maudy PIOT écrivait ainsi :

« C’est enfin, pour la société, se déculpabiliser en nous enfermant dans notre rôle social d’handicapés, de « pauvres handicapés ». La compassion tient lieu ici de réflexion éthique. Ce ne sont ni le misérabilisme, ni les positions morales qui peuvent répondre au problème. Nous manquons singulièrement d’une réflexion approfondie sur ce qu’est la sexualité humaine dont fait partie la sexualité des personnes handicapées. »

Quelles réponses à la détresse des personnes handicapées ?

La mise en place d’aidants sexuels n’est pas une solution pour un pays attaché à la dignité humaine.

Mais alors, que faire face à l’immense misère des personnes les plus handicapées ? Mettre tout en œuvre pour rechercher les meilleures solutions alternatives : il n’est évidemment pas possible de balayer un tel problème sous le tapis et de s’en décharger.

A l’occasion de son avis n°118 du 4 octobre 2012, le CCNE a écrit :

« Comme tout un chacun, la personne handicapée a besoin en priorité de liens, d’une vie relationnelle satisfaisante et notamment d’être reconnue dans tous les aspects de son identité. Le premier d’entre eux est le fait d’être perçu ou situé comme homme ou comme femme avant même que soit abordée la question de la vie sexuelle : avoir une identité́ sexuée et non pas être un « ange ». De nombreux textes utilisent cette métaphore pour souligner la fréquente négation sociale de cette dimension de leur personne. Les rapports de notre vie en société́ sont sexués ; nous existons par rapport aux autres en tant en tant qu’êtres humains mais aussi en tant qu’hommes ou en tant que femmes. »

Il est donc très important que la société fasse évoluer son regard sur les personnes handicapées : plutôt que de le nier et de le cacher dans des institutions spécialisées, il convient de réaliser que le handicap fait partie de la vie, qu’il peut toucher tout un chacun, qu’il n’y a pas de différence intrinsèque de dignité entre une personne valide et une personne handicapée.

Le mot de la fin devrait appartenir à Madame PIOT qui, dans sa tribune du 19 mai 2011, écrivait :

« L’instauration des aidants sexuels, présentée comme une prestation destinée aux personnes lourdement handicapées, rémunérée, et éventuellement remboursée, représente à nos yeux une mauvaise réponse à une bonne question. La bonne question, c’est celle de la sexualité des personnes handicapées : la société prend enfin conscience de leur sexualité et de leur vie affective, et nous nous en réjouissons, on a trop longtemps voulu ignorer cette question, on a trop longtemps dénié aux personnes handicapées leur désir de vivre leur sexualité d’hommes et de femmes dans l’authenticité et la dignité, et de pouvoir créer une relation amoureuse. »

Hélas, le gouvernement, par la voix de Madame Sophie CLUZEL, secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées, vient d’indiquer que le gouvernement « est très favorable à ce qu’on puisse accompagner (la) vie intime, affective et sexuelle » des personnes handicapées.

En conséquence, Madame CLUZEL vient de saisir, à nouveau, le CCNE de cette question bien que celui-ci ait déjà, nous l’avons vu, censuré cette idée.

Mais voilà, à l’occasion de sa participation au Grand Rendez-vous Europe 1/CNews/Les Echos du 9 février dernier, Madame CLUZEL a estimé que « la société a mûri ». Sans doute faut-il comprendre par là que la notion de dignité de la personne humaine serait une notion à géométrie variable, que l’on peut désormais raboter parce que, depuis 2012, nous aurions grandi.

Emboîtant le pas à Madame CLUZEL, et sans doute dans une action coordonnée avec elle, un certain nombre d’articles sont déjà parus dans divers médias, étrangement tous en faveur de l’adoption des aidants sexuels. Contrairement aux débats qui avaient eu lieu en 2011 et 2012, plus une seule voix discordante ne semble pouvoir se faire entendre, et l’on peut déjà comprendre que le CCNE, qui doit lui aussi « grandir », va être soumis à une intense pression pour donner la « bonne » réponse à la question qui lui a été posée.

Malheureusement, le recours systématique depuis une cinquantaine d’années à cette rhétorique du « maintenant la société est prête » et à la mise en exergue de cas limites sur un mode sentimental paralysant toute réflexion éthique semble devoir être couronnée de succès pour démolir un à un les acquis civilisationnels protecteurs des plus faibles.

Au final, il conviendrait que de nombreuses voix s’élèvent pour rappeler à Madame CLUZEL que le caractère sacré de la personne humaine ne varie pas au gré des modes et des envies de transgression, et qu’il en va au contraire de l’honneur d’une civilisation d’engendrer des modes et des traditions qui incarnent un respect toujours plus exigeant de la dignité de la personne.


Julien MARCEL, Juriste
Bernard RINEAU, Avocat Associé