Le droit d’option : en matière de baux commerciaux, il n’est pas interdit de changer d’avis !

Le renouvellement d’un bail commercial donne souvent lieu à de vives discussions entre bailleur et locataire, notamment sur le montant du loyer. Dans ce cadre, au-delà de la réglementation relative au loyer du bail renouvelé, la loi accorde aux cocontractants un délai de rétractation bien particulier, communément appelé « droit d’option ».

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I. Quoi ?

Légalement, le droit d’option consiste en un seul membre de phrase « noyé » dans un texte de procédure, l’article L. 145-57 du code de commerce :

Pendant la durée de l’instance relative à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé, le locataire est tenu de continuer à payer les loyers échus au prix ancien ou, le cas échéant, au prix qui peut, en tout état de cause, être fixé à titre provisionnel par la juridiction saisie, sauf compte à faire entre le bailleur et le preneur, après fixation définitive du prix du loyer.Dans le délai d’un mois qui suit la signification de la décision définitive, les parties dressent un nouveau bail dans les conditions fixées judiciairement, à moins que le locataire renonce au renouvellement ou que le bailleur refuse celui-ci, à charge de celle des parties qui a manifesté son désaccord de supporter tous les frais. Faute par le bailleur d’avoir envoyé dans ce délai à la signature du preneur le projet de bail conforme à la décision susvisée ou, faute d’accord dans le mois de cet envoi, l’ordonnance ou l’arrêt fixant le prix ou les conditions du nouveau bail vaut bail

article L. 145-57 du code de commerce

Dans le silence de la loi, la jurisprudence est venue préciser les principes et les modalités d’exercice de ce droit d’option.

Ainsi, après un congé avec offre de renouvellement (émanant du bailleur) ou après une demande de renouvellement (de la part du locataire), chacune des parties a la faculté de se raviser et de renoncer au renouvellement du bail tant que le montant du loyer du bail renouvelé n’a pas été définitivement fixé, soit à l’amiable, soit sur décision judiciaire[1].

En effet, pour devenir définitif, le renouvellement du bail nécessite l’accord des parties à la fois sur le principe du renouvellement et sur le montant du loyer, ce second point étant bien évidemment le plus sensible.

Si le bailleur et le locataire ne sont d’accord que sur le principe du renouvellement, ce qui est assez fréquent en pratique, le bail est renouvelé à la date d’effet du congé avec offre de renouvellement[2] (ou de la demande de renouvellement), aux clauses et conditions antérieures, et les parties disposent alors d’un délai de deux ans pour saisir le juge des loyers commerciaux d’une demande de fixation du loyer, faute d’accord entre elles[3].

2. Quand ?

Contrairement à d’autres droits de rétractation prévus par la loi, le droit d’option en matière de baux commerciaux n’est pas enfermé dans un délai fixe.

L’article L. 145-57 du code de commerce prévoit seulement une limite maximale : un mois à compter de la signification de la décision définitive fixant le montant du loyer.

Mais le droit d’option peut être exercé à tout moment, c’est-à-dire :

  • avant même l’introduction d’une procédure de fixation du loyer[4] ;
  • ou bien à tout moment au cours de cette instance[5].

Concrètement, compte tenu de la durée d’une procédure devant le juge des loyers commerciaux (délai de deux ans pour agir, mémoire en demande, mémoire en défense, assignation, expertise judiciaire, décision du juge, éventuelle procédure d’appel), le droit d’option peut parfois être exercé plusieurs années après l’accord des parties sur le principe du renouvellement du bail.

Hormis l’hypothèse d’une fixation judiciaire du loyer, rappelons que le droit d’option ne peut plus être exercé dès lors qu’il existe un accord sur le principe du renouvellement et sur le montant du loyer du bail renouvelé.

A titre d’exemple, il a récemment été jugé que les parties qui sont convenues de renouveler le bail « aux mêmes clauses et conditions antérieures », sans mentionner aucune réserve, ont conclu un accord exprès sur les conditions et clauses du bail précédent, en ce compris le montant du loyer, ce qui fait obstacle à l’exercice du droit d’option[6].

D’où l’importance, tant pour le bailleur que pour le locataire, d’être conseillé par un professionnel du droit lors des pourparlers sur le renouvellement du bail commercial.

Par ailleurs, l’exercice du droit d’option n’est soumis à aucun délai de préavis, bien qu’il soit tout à fait possible d’en prévoir un[7].

En pratique, un délai de prévenance d’un ou deux mois paraît raisonnable, ne serait-ce que pour organiser la libération des locaux ; la notification du droit d’option et la convocation à l’état des lieux pourront alors être concomitantes.

Le cas échéant, le locataire doit veiller à quitter les lieux rapidement après l’exercice du droit d’option car il se trouve alors occupant sans droit ni titre : outre le fait qu’il encourt théoriquement l’expulsion, le locataire est débiteur d’une indemnité d’occupation qui peut être supérieure à la valeur locative (cf. infra 4).

3. Comment ?

La loi et la jurisprudence n’imposent aucune condition de forme quant à l’exercice du droit d’option, à tout le moins du côté du locataire puisque celui-ci ne prend pas l’initiative de mettre fin au bail à proprement parler mais se borne à ne pas accepter l’offre de renouvellement[8].

En revanche, le droit d’option du bailleur est régulièrement exercé par la délivrance d’un acte extrajudiciaire refusant le renouvellement du bail[9].

Encore faut-il que l’option soit explicite et qu’elle ne soit assortie d’aucune réserve ou condition[10].

A cet égard, l’article L. 145-59 du code de commerce prévoit expressément que la décision du bailleur de refuser le renouvellement du bail est irrévocable, mais il n’est pas exclu que, par symétrie, l’option exercée par le locataire soit également irrévocable[11].

La prudence commande donc de considérer que l’option, une fois exercée, ne peut plus être rétractée.

Pour d’évidentes raisons de preuve, il convient de privilégier l’utilisation de la lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou, mieux, de l’acte d’huissier (désormais commissaire de justice).

Par ailleurs, ni le bailleur ni le locataire n’ont l’obligation de donner les raisons de leur choix : l’option n’a pas à être motivée[12].

Inutile, par conséquent, de prêter le flanc à la critique en fournissant un motif qui pourrait éventuellement être jugé fallacieux, alors que le droit d’option est discrétionnaire.

Si la partie « victime » du droit d’option peut parfois être tentée de recourir à la théorie de l’abus de droit pour soulever une contestation, force est de constater que les juridictions font rarement application de cette notion en matière de droit d’option.

A titre d’illustrations :

  • Le juge saisi d’un moyen tiré de l’abus de droit commis par le locataire « n’avait pas à répondre à des conclusions qui, après avoir soutenu à tort que le locataire avait exercé trop tôt son droit d’option, lui faisaient grief de l’avoir exercé trop tard »[13] ;
  • « L’exercice par le bailleur du droit d’option que lui confère la loi peut en l’occurrence parfaitement s’expliquer par le désaccord des parties sur le montant du loyer »[14] ;
  • Le fait pour le locataire d’exercer son droit d’option sans délai de prévenance, et de se réinstaller à proximité, « n’est pas fautif en soi »[15] ;
  • Le fait pour une clinique d’avoir attendu 15 jours avant la libération effective des lieux pour notifier au bailleur sa renonciation au renouvellement du bail, en cours de délibéré sur la fixation du loyer et alors que le projet de déménagement était prévu depuis plusieurs années, ne démontre pas « l’intention de nuire au bailleur » et ne constitue donc pas un abus de droit[16] ;
  • « L’exercice du droit d’option par le preneur après plusieurs années de procédure ne caractérise en l’espèce ni mauvaise foi ni intention de nuire et n’a pas dégénéré en abus de droit »[17].

4. Quelles conséquences financières ?

Lorsque c’est le locataire qui exerce le droit d’option, il n’a droit à aucune indemnité d’éviction puisque, par hypothèse, ce n’est pas le bailleur qui lui refuse le renouvellement du bail[18].

A l’inverse, si le bailleur est à l’initiative du droit d’option, alors il doit offrir le paiement d’une indemnité d’éviction[19].

Par ailleurs, dès lors que l’exercice du droit d’option rétroagit à la date d’effet du congé (ou de la demande de renouvellement), le bail est alors censé n’avoir jamais été renouvelé et le locataire est donc dans la situation d’un occupant sans droit ni titre, ce qui justifie le prononcé d’une indemnité d’occupation[20].

En la matière, deux régimes coexistent :

  • D’une part, l’indemnité d’occupation due pour la période antérieure à l’exercice du droit d’option est qualifiée de statutaire en ce qu’elle trouve son origine dans l’application de l’article L. 145-57 du code de commerce. Elle est égale à la valeur locative[21] ;
  • D’autre part, l’indemnité d’occupation due à compter de l’exercice du droit d’option et jusqu’à libération effective des lieux est dite de droit commun. Elle peut être supérieure à la valeur locative[22].

A défaut d’accord, la valeur locative est déterminée d’après cinq critères légaux que sont les caractéristiques du local, la destination des lieux, les obligations respectives des parties, les facteurs locaux de commercialité et les prix couramment pratiqués dans le voisinage[23].

En pratique, la valeur locative est généralement fixée à dire d’expert.

Enfin, les frais de l’instance sont en principe à la charge de celui qui exerce le droit d’option.

Il s’agit des frais de procédure au sens large, c’est-à-dire tant les dépens que l’article 700 du code de procédure civile[24], mais uniquement ceux exposés avant l’exercice du droit d’option, et non ceux d’une nouvelle procédure engagée postérieurement pour fixer le montant des indemnités d’éviction et d’occupation[25].

*          *          *

En conclusion, il s’avère que le droit d’option constitue un « outil » intéressant pour l’une et l’autre des parties à un bail commercial, qu’il convient d’avoir à l’esprit au moment du renouvellement du bail puis, le cas échéant, tout au long de la procédure de fixation du loyer.

Simple dans son principe (il s’agit fondamentalement d’un droit de rétractation), le droit d’option recèle toutefois de nombreuses subtilités qui justifient de consulter un professionnel du droit des baux commerciaux.

Bernard RINEAU, avocat associé

Thomas BEAUCHAMP, avocat


[1] Cass. 3ème civ., 6 décembre 1995, n° 94-10.611 ; CA Versailles, 22 octobre 1998, n° 96/03123 ; CA Paris, 16ème chambre, section A, 15 septembre 2004, n° 03/14206.

[2] Cass 3ème civ., 21 mars 1990, n° 88-20.402, publié au bulletin.

[3] Cass. 3ème civ., 1er juillet 1998, n° 96-20.204, publié au bulletin.

[4] Cass. 3ème civ., 9 octobre 1974, n° 73-11.561, publié au bulletin ; 15 février 1983, n° 81-11.486, publié au bulletin ; 2 décembre 1992, n° 90-18.844, publié au bulletin ; 23 mars 2011, n° 06-20.488, publié au bulletin.

[5] Cass. 3ème civ., 11 décembre 2013, n° 12-29.020, publié au bulletin.

[6] Cass. 3ème civ., 15 avril 2021, n° 19-24.231, publié au bulletin.

[7] Cass. 3ème civ., 29 novembre 2005, n° 04-16.974 (délai de 5 semaines en l’espèce).

[8] CA Versailles, 22 octobre 1998, n° 96/03123.

[9] Cass. 3ème civ., 14 mai 1997, n° 95-15.157.

[10] Cass. 3ème civ., 14 novembre 2007, n° 06-16.063, publié au bulletin ; 9 juin 2015, n° 13-21.889.

[11] Mémento Baux Commerciaux 2021-2022, Editions Francis Lefebvre, n° 71090.

[12] Mémento Baux Commerciaux 2021-2022, Editions Francis Lefebvre, n° 71045 ; Dalloz Action, Droit et pratique des baux commerciaux, n° 363.54.

[13] Cass. 3ème civ., 15 février 1983, n° 81-11.486, publié au bulletin.

[14] CA Chambéry, 16 avril 2013, n° 12/00444.

[15] CA Versailles, 12ème chambre, section 2, 24 mars 2011, n° 09/09671.

[16] CA Angers, 23 juin 2009, n° 06/00683.

[17] CA Paris, pôle 5, chambre 3, 8 décembre 2021, n° 19/08667

[18] Article L. 145-14 du code de commerce (a contrario).

[19] Cass. 3ème civ., 16 septembre 2015, n° 14-20.461, publié au bulletin.

[20] Cass. 3ème civ., 7 novembre 1984, n° 83-13.550, publié au bulletin ; 30 septembre 1998, n° 96-22.764, publié au bulletin ; CA Versailles, 22 octobre 1998, n° 96/03123 ; Cass. 3ème civ., 18 janvier 2011, n° 09-68.298.

[21] Cass. 3ème civ., 5 février 2003, n° 01-16.882, publié au bulletin ; CA Versailles, 12ème chambre, section 2, 24 mars 2011, n° 09/09671 ; CA Paris, pôle 5, chambre 3, 26 février 2014, n° 12/05634.

[22] CA Versailles, 12ème chambre, section 2, 24 mars 2011, n° 09/09671 ; CA Paris, pôle 5, chambre 3, 26 février 2014, n° 12/05634.

[23] Article L. 145-33 du code de commerce.

[24] Cass. 3ème civ., 14 avril 2016, n° 14-29.963 (par analogie).

[25] Cass. 3ème civ., 16 septembre 2009, n° 08-15.741, publié au bulletin.