Les infractions relatives aux entreprises en difficulté (I) : la banqueroute

Le droit des entreprises en difficulté, ou droit des procédures collectives, est un droit spécial qui a ses propres règles, ses propres procédures. Il déroge au droit commun des sociétés ou au droit commercial pour des raisons d’intérêt économique supérieur : il s’agit de faire perdurer les emplois et l’activité économique. A cet égard, le droit […]

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Le droit des entreprises en difficulté, ou droit des procédures collectives, est un droit spécial qui a ses propres règles, ses propres procédures. Il déroge au droit commun des sociétés ou au droit commercial pour des raisons d’intérêt économique supérieur : il s’agit de faire perdurer les emplois et l’activité économique.

Le droit des entreprises en difficulté, ou droit des procédures collectives, est un droit spécial qui a ses propres règles, ses propres procédures. Il déroge au droit commun des sociétés ou au droit commercial pour des raisons d’intérêt économique supérieur : il s’agit de faire perdurer les emplois et l’activité économique.

A cet égard, le droit des procédures collectives est essentiellement un droit protecteur de l’entreprise qui traverse des difficultés financières.

Il n’en a pas toujours été ainsi, bien au contraire : pendant de nombreux siècles, ce qu’on nommait généralement droit des faillites avait un objectif essentiellement répressif. Il visait à sanctionner les commerçants incapables de faire face à leurs engagements, parfois même par la peine de mort.

Le terme de banqueroute, principale infraction relative aux procédures collectives, tire d’ailleurs son origine des termes italiens banca rotta, littéralement « banc cassé », renvoyant à la pratique selon laquelle était publiquement brisée la table (ou le banc), sur laquelle le commerçant insolvable exerçait son activité, en signe de déchéance financière, et surtout morale. La déconfiture était le plus souvent associée à la malhonnêteté.

Au gré des époques, les impératifs économiques et une vision plus réaliste de la vie des affaires, ont fini par prendre le pas sur les impératifs répressifs : l’infraction de banqueroute s’est peu à peu correctionnalisée[1], et il a été admis l’idée qu’un commerçant insolvable avait pu être de bonne foi, tout en étant irrémédiablement frappé dans son entreprise par quelques vicissitudes malheureuses. En deux mots : toute entreprise comporte des risques, dont certains échappent au pouvoir de celui qui les prend. N’est pas nécessairement coupable ou escroc celui qui échoue.

Cela dit, parmi les près de 50 000 liquidations annuelles[2], il est indispensable de sanctionner les auteurs d’abus.

Il est tentant pour le chef d’entreprise, en effet, pour tenter de sauver son affaire en déroute, de se livrer à des manœuvres frauduleuses destinées à redresser la situation ou à retarder le moment où l’entreprise va s’effondrer. Le plus souvent, de tels agissements auront pour conséquence d’aggraver la situation et de provoquer des faillites en chaîne, tout en sacrifiant définitivement les intérêts des créanciers.

C’est ici que la loi pénale intervient et, pour éviter de tels résultats non seulement injustes mais potentiellement désastreux, a prévu aux côtés du délit principal de banqueroute, qui sera à présent plus détaillé, plusieurs autres infractions complémentaires.

Dans son acception classique, la banqueroute correspond au fait, pour un commerçant, de conduire intentionnellement l’affaire qu’il dirige à la faillite (II), selon des procédés prohibés (I). Diverses sanctions sont prévues (III).

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Deux précisions préalables sont ici nécessaires.

D’une part, si le délit de banqueroute concernait d’abord les commerçants, il a été étendu à toutes les personnes exerçant une activité économique pour leur compte[3] : agriculteurs, artisans, dirigeants, indépendants, dont les professions libérales, à l’exclusion, donc, des salariés et des personnes de droit public.

Leur point commun étant d’être gravement endettées, on les nomme habituellement « débiteurs ».

D’autre part, le délit de banqueroute ne peut être commis que si le débiteur est sous le coup d’une procédure collective de redressement ou de liquidation judiciaire[4], donc qu’il se trouve en état de cessation des paiements[5]. Précisons que le juge pénal peut librement fixer une date de cessation des paiements antérieure à celle retenue par la procédure collective en retenant le critère de « la situation irrémédiablement compromise » du débiteur. Le cas est rare en pratique, et le juge pénal attend généralement l’ouverture d’un redressement ou d’une liquidation pour sanctionner la banqueroute.

I. L’élément matériel : les comportements prohibés

L’article L654-2 du code de commerce prévoit limitativement cinq procédés susceptibles de constituer les faits matériels du délit (alinéas 1 à 5 de l’article).

1. Faire des achats en vue de la revente au-dessous des cours ou employer des moyens ruineux pour se procurer des fonds

Il s’agit, par exemple, de sanctionner l’achat de marchandises dans l’intention de les revendre à un prix inférieur à leur cours, ou l’obtention de tout crédit, escompte ou découvert bancaire à un taux usuraire ou moyennant le paiement d’agios disproportionnés, ou l’obtention de trop nombreux crédits.

S’ils ont été commis dans l’intention d’éviter ou de retarder l’ouverture du redressement ou de la liquidation judiciaire, ces agissements prolongent artificiellement l’activité de la société en donnant l’illusion qu’elle dispose de liquidités, alors qu’en réalité, ils ne font qu’accroître les dettes et diminuer d’autant le gage des créanciers.

2. Détourner ou dissimuler tout ou partie de son actif

L’acte prohibé se traduit par la dissipation volontaire d’un élément du patrimoine de la société, afin d’empêcher qu’il soit appréhendé au profit des créanciers. Le détournement ou la dissimulation d’actif sont définis de manière extensive et se rapprochent des comportements pouvant constituer des abus de biens sociaux hors procédure de redressement ou liquidation judiciaire.

Il s’agit d’actes juridiques (vente, donation…) ou matériels (consommation, dilapidation…) de disposition des biens sociaux, meubles ou immeubles, par un usage abusif ou un refus de restitution.

Pour être déclaré illicite, l’acte sera apprécié au regard de l’objet social de la société.

Seront sanctionnés par exemple les retraits de trésorerie, le paiement de factures à des fins personnelles ou au profit de sociétés dans lesquelles le dirigeant a des intérêts, le remboursement de compte courant à des membres de la famille du dirigeant, l’octroi d’une rémunération excessive au profit du dirigeant ou des salariés, le versement de dividendes ou l’acte de gestion compromettant la trésorerie de la filiale au seul profit de la société mère. Un abandon de créance peut également être incriminé à ce titre.

3. Augmenter frauduleusement son passif

Hypothèse assez rare, ce comportement vise tout procédé, toute action ou omission, visant à majorer le passif de l’entreprise ou à faire apparaître des créanciers fictifs censés recevoir une part lors de la réalisation de l’actif.

Il s’agira, par exemple, de reconnaissances de dettes fictives.

4. Tenir une comptabilité fictive, faire disparaître des documents comptables ou s’abstenir de toute comptabilité

Ces dispositions incriminent des manquements graves aux règles de la comptabilité, en regroupant trois hypothèses, assez fréquentes, d’absence de comptabilité.

La tenue d’une comptabilité fictive (1er cas) vise les cas où les écritures ne reflètent pas l’activité réelle de l’entreprise, en raison d’irrégularités formelles ou d’irrégularités de fond. Contrairement à l’objectif légal qui lui est assigné, la comptabilité ne donne pas de l’entreprise une image fidèle, mais une image dénaturée. C’est le cas, par exemple, de la pratique de la double comptabilité (une officielle qui demeure cachée et une fictive qui est apparente), ou quand les écritures correspondent à des inscriptions sans fondement réel.

La disparition de documents comptables (2ème cas) s’applique en cas de destruction ou de soustraction de documents comptables, ou, plus simplement, quand le débiteur ne présente pas une pièce de sa comptabilité, sauf s’il prouve sa bonne foi (incendie, vol). Ces comportements ont pour effet d’empêcher le contrôle réel de la situation et de compromettre la bonne réalisation des opérations de liquidation.

L’abstention de toute comptabilité (3ème cas) vise les hypothèses où la comptabilité, quand elle est obligatoire, est totalement inexistante : en cas de défaut d’un des livres obligatoires, par exemple, ou même en cas de retard dans la présentation des documents sociaux.

5. Tenir une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions légales

Cette dernière incrimination a été créée pour distinguer les cas d’erreurs ou d’oublis manifestes dans la tenue des comptes, des cas d’absence de comptabilité sanctionnés à l’alinéa précédent. La comptabilité sera considérée comme irrégulière en cas de non-respect des prescriptions du code de commerce, et incomplète en cas d’absence d’un des registres obligatoires, ou si tous les mouvements n’ont pas été enregistrés, opération par opération et au jour le jour, dans le livre journal.

Naturellement, toute irrégularité comptable ne sera pas constitutive de ce cas de banqueroute. Sont ici visées les irrégularités graves et flagrantes rendant la comptabilité déficiente sur une longue période. Ou encore les irrégularités répétées ayant permis de masquer une situation gravement compromise (absence d’écritures comptables relatives aux provisions pour pertes ou dépréciation…), ou de dissimuler des prélèvements importants au profit de structures en amont ou des frais injustifiés (absence de justificatifs de frais de déplacement, de cadeaux ou de retraits, factures surchargées).

Ces irrégularités peuvent, alternativement ou cumulativement, être sanctionnées sous d’autres qualifications pénales telles que fraude fiscale pour omission d’écritures comptables[6], présentation de comptes infidèles[7], et même, dans certains cas, escroquerie[8].

II. L’élément intentionnel : la mauvaise foi

Comme pour toute infraction pénale, la sanction d’un comportement ne peut se faire que s’il est rapporté la preuve de l’intention coupable du fautif, c’est-à-dire de la volonté de commettre, en toute connaissance de cause, un acte prohibé par la loi pénale[9], étant bien-sûr rappelé que nul n’est censé ignorer la loi.

Dans le cas de l’infraction de banqueroute, cette conscience d’enfreindre la loi, synonyme de mauvaise foi, est généralement caractérisée par la double connaissance, par le débiteur, de l’état de cessation des paiements de son entreprise, et du fait que l’acte commis cause un préjudice aux tiers ou aux créanciers sociaux[10].

Ce point est important. C’est parce que le débiteur a intentionnellement conduit son entreprise à la faillite, et donc qu’il a volontairement lésé ses créanciers, qu’il pourra être puni par la loi pénale. Par conséquent, une mauvaise gestion de l’entreprise et de mauvais choix ayant conduit à la faillite ne suffisent pas à faire naître l’infraction de banqueroute : encore faut-il prouver l’élément intentionnel.

En pratique, cependant, la preuve de la mauvaise foi découlera le plus souvent, de la simple constatation des moyens matériels mis en œuvre pour accomplir l’un des comportements prohibés ci-dessus. Le débat judiciaire et les moyens de défense à mettre en œuvre sont, à cet égard, cruciaux.

III. Les sanctions

Ce n’est peu dire que, au fil du temps, le législateur a changé d’état d’esprit vis-à-vis des débiteurs insolvables, en penchant désormais du côté de leur protection que de leur répression. Naguère associée aux pires châtiments et à l’opprobre générale, la banqueroute n’entraîne aujourd’hui que peu de peines d’emprisonnement ferme.

Pourtant, quand elle est constituée en ses deux éléments (élément matériel et élément intentionnel), l’infraction de banqueroute fait encourir à son auteur ou ses complices, personnes physiques, une peine maximale de 5 ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Les peines sont portées à 7 ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende si le banqueroutier ou son complice sont dirigeants d’une société de bourse[11].

Un certain nombre de peines complémentaires sont également prévues (interdiction des droits civiques, civils et de famille, interdiction d’exercer telle activité professionnelle ou sociale, commerciale ou industrielle, interdiction de diriger, administrer ou gérer, affichage de la décision…)[12], étant précisé que le juge civil ou commercial en charge de la liquidation peut, en outre, prononcer la sanction de faillite personnelle[13].

Pour les personnes morales, il est prévu une peine maximale de 375 000 euros d’amende, outre des peines complémentaires (dissolution dans certains cas, interdiction d’activités professionnelles, surveillance judiciaire, fermeture définitive ou temporaire, affichage de la décision…).

Ce délit se prescrit par six ans à compter du jour du jugement ouvrant la procédure collective si les faits incriminés sont apparus avant cette date[14]. S’ils ont été commis après le jugement d’ouverture, le délai de prescription court à partir de la date de leur commission, sauf s’il est établi que l’infraction a été dissimulée[15], ce qui aurait pour effet de repousser le point de départ de la prescription au jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique[16].

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Un conseil pour conclure. Dans cette matière assez complexe, bien des difficultés économiques ou judiciaires peuvent être évitées ou amoindries par un souci constant d’anticipation, dès l’apparition des turbulences économiques et dans les temps précédant l’ouverture de la procédure collective. L’anticipation et l’accompagnement sont des attitudes indispensables pour tenter d’éviter non seulement la faillite, mais aussi la banqueroute.

Bernard RINEAU, Avocat associé

Jean-Eloi de BRUNHOFF, Avocat en charge du pôle pénal


[1] Constitutive d’un crime en 1807 sous Napoléon, l’infraction est devenue un délit en 1958.

[2] Source Ministère de la justice (chiffres 2015 à 2019, solutions de liquidation immédiate, liquidation après conversion de la procédure ou liquidation après résolution du plan : http://www.justice.gouv.fr/statistiques-10054/references-statistiques-justice-12837/references-statistiques-justice-33702.html )

[3] Article L654-1 du code de commerce

[4] L654-2 du code de commerce

[5] C’est-à-dire qu’il se trouve dans l’impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, selon l’article L631-1 du code de commerce.

[6] Art. 1743 1° du code général des impôts

[7] Art. L 241-3 (pour les SARL) et L. 242-6 2° (pour les SA) du code de commerce

[8] Art. 313-1 du code pénal, voir Cass. crim., 28 nov. 2007, n°06-88.860

[9] Cette intention est qualifiée de « dol général ».

[10] Pour le premier cas de banqueroute (par achats ou emploi de moyens ruineux), il faut caractériser, outre l’intention de violer la loi pénale (dol général), l’intention spécifique de retarder ou d’éviter l’ouverture de la procédure (dol spécial).

Pour le dernier cas de banqueroute (par comptabilité manifestement irrégulière ou incomplète), il faut caractériser, outre l’intention de violer la loi pénale (dol général), le caractère manifeste de l’irrégularité (dol spécial).

[11] Art. L654-3 et L654-4 du code de commerce

[12] Art. L654-5 du code de commerce

[13] Cette sanction entraîne l’interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute exploitation agricole ou toute entreprise commerciale, artisanale, ou ayant toute autre activité indépendante, et toute personne morale.

[14] Art. L654-16

[15] Cass. crim. 25 nov. 2020, n° 19-85.091. Précision : cette solution a été apportée plus spécifiquement pour le cas de banqueroute par détournement d’actif (L654-2, 2° du code de commerce), mais il y a peu de raison qu’elle ne soit pas applicable aux autres cas de banqueroute.

[16] Art. 9-1 al. 3 du code de procédure pénale