Les principes fondamentaux du droit du travail à l’épreuve de la suspension des salariés refusant l’obligation vaccinale

Le droit du travail est guidé par un certain nombre de principes fondamentaux qui font office de garanties aux salariés, lorsque ces derniers sont confrontés au risque de perte de leur emploi ou de leur rémunération.

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« La démocratie n’est pas la loi de la majorité, mais la protection des minorités » (Albert CAMUS).

Le droit du travail est guidé par un certain nombre de principes fondamentaux qui font office de garanties aux salariés, lorsque ces derniers sont confrontés au risque de perte de leur emploi ou de leur rémunération.

Ces principes fondamentaux occupent une place encore plus importante en matière disciplinaire.

On relèvera ainsi que tout salarié faisant l’objet d’une procédure de rupture de son contrat de travail pour faute, ou d’une sanction disciplinaire, se voit offrir la capacité de pouvoir s’expliquer sur les faits qui lui sont reprochés, dans le cadre d’un entretien préalable (Articles L.1232-3 et L.1332-2 du Code du travail).

Dès lors que l’avenir de son contrat de travail est menacé, le salarié fautif doit ainsi être en mesure de donner sa version à l’employeur et permettre à ce dernier d’apprécier différemment la situation – afin, le cas échéant, de permettre éventuellement d’éviter la sanction.

Le principe du contradictoire dans le cadre de la procédure disciplinaire avait d’ailleurs été édifié comme une composante essentielle du respect des droits de la défense du salarié par la Cour d’Appel de Paris, laquelle avait jugé, le 7 mai 2014 (avant d’être censurée par la Cour de Cassation), que l’employeur était dans l’obligation de faire connaître à celui-ci les faits reprochés dès le stade de la convocation, c’est-à-dire avant même l’entretien préalable (CA de PARIS, 7 mai 2014, n°12/02642).

Le salarié faisant l’objet d’une sanction se voit également garantir le droit de ne pas se voir imposer une suspension de son contrat de travail et de sa rémunération pour une durée indéterminée : toute suspension du contrat doit donc nécessairement être limitée dans le temps.

Tel est le cas notamment lorsque le salarié fait l’objet d’une mise à pied disciplinaire, laquelle doit être strictement encadrée et limitée dans sa durée, au sein du règlement intérieur (Cass, Soc. 26 octobre 2010, n°09-42.740).

De même, la mise à pied conservatoire (laquelle permet à l’employeur de suspendre le contrat de travail d’un salarié et sa rémunération dans l’attente de l’aboutissement d’une procédure de licenciement) est, elle aussi, limitée dans le temps.

Elle ne pourra ainsi s’étendre au-delà de la durée maximale des procédures de licenciement, et en tout état de cause, être maintenue pour une durée excessive et abusive (Cass, Soc. 14 septembre 2016, n°14-22.225).

Enfin, dernière garantie (et non des moindres) : à la suite d’une procédure de licenciement disciplinaire, le salarié a la possibilité de voir sa rémunération prise en charge par la collectivité, quel que soit le degré de la faute commise (même en cas de faute grave ou de faute lourde).

Toute rupture du contrat de travail, intervenue à l’initiative de l’employeur, donne ainsi droit (sous réserve d’une durée de cotisation suffisante) à la prise en charge par l’assurance chômage ou, dans le cas contraire, au Revenu de Solidarité Active (RSA).

Aucun salarié ne peut ainsi être privé de revenus, que ce soit sous forme d’un salaire durant l’exécution du contrat de travail, d’un revenu de remplacement, ou d’allocations sociales, à la rupture dudit contrat.

Cette doctrine constitue l’un des piliers de l’Etat providence, garantissant à chaque individu un minimum de ressources pour subsister et conserver une certaine dignité.

Il convient d’ailleurs de noter que ces garanties ont été, jusqu’à peu, étendues à toute situation de suspension du contrat de travail (maladie, congé maternité, congé parental, etc…).

C’est ce corpus de droits et de garanties que la loi du 5 août 2021 (loi n°2021-1040 relative à la gestion de la crise sanitaire), laquelle institue l’obligation vaccinale des personnels soignants, est venue mettre à mal : elle impose en effet aux employeurs de suspendre automatiquement le contrat de travail des salariés non vaccinés, pour une durée indéterminée et sans maintien de leur rémunération.

Elle a ainsi conduit au placement brutal d’un certain nombre de salariés dans une situation de précarité sans précédent – ce que précisément le corpus juridique précédemment rappelé permettait d’éviter.

Pourtant, le salarié ne respectant pas l’obligation vaccinale aurait très bien pu se voir offrir les garanties de la procédure disciplinaire, tant cette mesure apparait juridiquement comme une sanction qui ne dit pas son nom (I).

Le législateur aurait pu également prévoir d’offrir à ces salariés une « porte de sortie », notamment en donnant à ces derniers la possibilité de se voir accorder une rupture de leur contrat de travail avec une prise en charge par l’assurance chômage (II.).

Las, le Gouvernement aura finalement préféré revenir sur cette dernière idée, pourtant évoquée dans le cadre du premier projet de loi, et ainsi placer une partie du personnel soignant dans une situation d’incertitude et de blocage.

I – Une suspension « sui generis » du contrat de travail qui revêt un caractère disciplinaire

L’article 14 de la loi du 5 août 2021 a créé un régime « sui generis » de suspension automatique du contrat de travail, à destination du personnel soignant n’ayant pas satisfait à l’obligation vaccinale.

Ces dispositions sont entrées en vigueur le 15 septembre 2021, pour les salariés n’ayant pas reçu une première dose de vaccin, et le 15 octobre 2021 pour l’ensemble des soignants n’apportant pas la preuve d’un schéma vaccinal complet.

Les fonctionnaires ne sont pas évoqués dans le cadre du présent article : mais ils sont également concernés.

S’il existe certaines exceptions mineures permettant d’échapper à cette obligation vaccinale (certificat de rétablissement au COVID 19 ou contre-indication à la vaccination), la grande majorité des soignants non vaccinés ont fait l’objet d’une suspension de leur contrat de travail.

Il convient de noter que c’est la première fois qu’un dispositif légal prévoit la suspension d’un contrat de travail d’un salarié contre sa volonté, et ce alors qu’il n’a commis aucune faute disciplinaire et qu’il se trouve en pleine capacité physique et mentale d’exécuter ses missions.

Il ressort en réalité que ce dispositif de suspension du contrat de travail peut largement être comparé à une sanction disciplinaire dans la mesure où c’est bien le comportement du salarié ayant refusé la vaccination, pour les raisons qui lui appartiennent, qui est à l’origine de la mesure.

En effet, sur ce point, il est certain que c’est le non-respect d’une obligation qui entraine la suspension-sanction.

En outre, il est constant que le législateur, sans émettre aucune réserve, n’a cessé de marteler que les soignants récalcitrants avaient bien violé une règle d’ordre morale, parlant à tout va d’une « obligation vaccinale ».

C’est d’ailleurs ce qui différencie le soignant des autres salariés, parfois soumis eux même à des contraintes (par exemple dans le secteur de la restauration) – mais qui, de leur côté, disposent d’alternatives à la vaccination (notamment les tests).

Dans la mesure où il n’existe pas d’obligation sans sanction, la nature disciplinaire de la suspension est difficilement contestable.

C’est d’ailleurs ce qu’avait décidé la Cour de cassation, il y a quelques années, en autorisant le licenciement pour faute d’un salarié ayant refusé de se faire vacciner (Cass, Soc. 11 juillet 2012, n°10-27.888).

Il est à ce titre tout à fait intéressant de rapprocher cette affaire de la situation actuelle, dans la mesure où le salarié avait très justement refusé la vaccination contre l’hépatite B, en raison d’une crainte des effets secondaires et notamment de développer la sclérose en plaques.

De fait, la Cour de cassation avait été plus courageuse que le législateur, en assumant pleinement la qualification fautive du refus de vaccination.

Et pourtant, cette qualification a toute son importance en ce qu’elle aurait pu permettre aux soignants suspendus d’obtenir des garanties qui ne leur ont nullement été offertes dans le cadre des dispositions de la loi du 5 août 2021.

En premier lieu, si la suspension du contrat de travail avait été qualifiable de sanction disciplinaire, le salarié non vacciné aurait alors dû être convoqué à un entretien préalable, au cours duquel il aurait disposé de la possibilité d’échanger avec son employeur sur les raisons expliquant son refus de vaccination – et, le cas échéant, de la possibilité de le convaincre de le maintenir à un poste plus adapté.

Par ailleurs, dans l’hypothèse du traitement du refus de vaccination comme une faute, l’employeur retrouverait pleinement son autonomie et pourrait ainsi refuser de sanctionner son salarié, au nom du principe de la personnalisation des sanctions disciplinaires.

On comprend dès lors tout l’intérêt de cette suspension « sui generis », laquelle ne semble avoir pour seul objectif que de rendre automatique la cessation du contrat de travail, en dépit des considérations élémentaires qui doivent entrer en ligne de compte en matière disciplinaire (soit, notamment : la bonne foi du salarié, les bons états de service, ou encore le respect des droits et libertés fondamentales).

En second lieu, il est constant que si cette suspension avait été qualifiée juridiquement de sanction disciplinaire, elle n’aurait pas pu être fixée pour une durée indéterminée.

Le sujet est donc éminemment politique, et nullement juridique.

Il convient à cet égard de noter que le Conseil Constitutionnel n’ayant pas été saisi sur ce point par le Gouvernement et les parlementaires, il n’a pas pu opérer de contrôle a priori sur la qualification juridique de cette suspension du contrat de travail.

Fort heureusement, deux Questions Prioritaires de Constitutionnalité (QPC) ont depuis été transmises par les Conseils de Prud’hommes de TROYES et SAINT BRIEUC, de sorte qu’une position sera nécessairement donnée dans les prochains mois.

II – L’impasse juridique découlant de la suspension du contrat de travail

Au-delà même du débat portant sur le caractère disciplinaire de la suspension du contrat de travail des salariés soumis à l’obligation vaccinale, on relèvera que cette mesure pose un certain nombre de difficultés relatives à la situation juridique du salarié suspendu.

Ainsi, cette suspension s’avère être une véritable « zone de non droits » pour les salariés, condamnés à demeurer sans traitement pour une durée indéterminée, tout en restant par ailleurs liés à leur employeur…

Et, de fait, en refusant la possibilité de prévoir le licenciement du salarié non vacciné sous contrat à durée indéterminée (solution financièrement acceptable pour le salarié du fait de sa prise en charge par l’assurance chômage, à hauteur de 57 % du revenu antérieur), les dispositions de la loi du 5 août 2021 cantonnent celui-ci à un double choix :  rester en poste dans les conditions ubuesques précitées, ou bien démissionner (cette démission le privant du bénéfice de l’assurance chômage).

Cette réalité se vérifie d’ailleurs en pratique, les employeurs refusant d’accorder à leurs salariés suspendus le bénéfice d’une rupture conventionnelle, lesquelles représentent pour eux un coût non négligeable.

Par les dispositions de la loi du 5 août 2021, le législateur a donc créé, au détriment des salariés, une véritable « prison contractuelle ».

Ce constat est d’autant plus vrai qu’aucune date limite n’a été fixée par le Gouvernement concernant la durée des suspensions contractuelles, de sorte qu’il est vraisemblable qu’en l’absence de censure de la part du Conseil Constitutionnel, celle-ci produira ses effets tant que le salarié ne se sera pas résigné à démissionner.

Il est d’ailleurs essentiel de préciser que peu d’employeurs auront le luxe de pouvoir licencier leurs salariés pour absence prolongée troublant gravement le fonctionnement de l’entreprise, cette catégorie de licenciement étant réservée aux cadres de direction, peu concernés par le refus de l’obligation vaccinale.


La loi du 5 août 2021 a mis également à mal un autre principe directeur du droit du travail, à savoir l’obligation de reclassement du salarié.

Hormis dans les structures mixtes, exerçant des activités non soumises à l’obligation vaccinale, force est de constater que l’employeur n’est nullement tenu de reclasser le salarié sur un poste dans le cadre duquel celui-ci n’aura pas de contacts avec les autres soignants ou les patients.

A l’issue de la période de crise sanitaire et des confinements successifs, il aurait été néanmoins judicieux de prévoir des possibilités de télétravail, notamment pour les salariés dont le poste permet ce mode d’exercice de la prestation de travail (notamment les salariés effectuant des tâches administratives).

Si l’employeur est tenu de reclasser son salarié licencié pour motif économique, ou en inaptitude professionnelle, tel ne sera donc pas le cas, ici, pour des salariés dont la présence était pourtant essentielle au bon fonctionnement des services…

C’est donc la politique du pire qui a été mise en œuvre, volontairement, par le Gouvernement, à savoir rester en poste, sans percevoir aucune forme de rémunération, ou démissionner au risque de se retrouver sans d’autres ressources que le RSA (565 euros pour une personne seule).

Compte tenu des constats en droit posés ci-avant, on ne peut que conclure que l’objectif du gouvernement aura été de vouloir faire céder les soignants en les touchant directement au portefeuille.


Néanmoins, sous la force de certains collectifs de professionnels du droit, des solutions d’urgence ont pu être dégagées, contraignant alors le Gouvernement à faire preuve d’une certaine souplesse.

Ainsi, le Ministère du travail a finalement été contraint de communiquer sur le sort des salariés soignants non vaccinés, en confirmant que ces derniers pouvaient travailler pour le compte d’un autre employeur, du fait de la suspension de leur contrat de travail.

Dans cette perspective, et sous réserve que le salarié retrouve un emploi pérenne, la démission de l’ancien poste peut alors devenir une porte de sortie.

Cette solution n’est néanmoins nullement satisfaisante, les soignants étant bien souvent cantonnés à leur seul domaine de compétence : s’ouvrent donc uniquement à eux des emplois précaires, sans qualification, et avec une rémunération moindre.

C’est malheureusement la réalité qui a pu être constatée.


Autre absurdité du système, le Ministère de la Santé et des solidarités a précisé, quant à lui, que les soignants suspendus pouvaient être placés en arrêt maladie et être pris en charge par la CPAM.

Loin de vouloir pour autant laisser les soignants sous la protection de la sécurité sociale, le Gouvernement précisera, dans les heures qui ont suivi cette annonce, que des contrôles seront organisés afin de vérifier le bien fondé de l’arrêt de travail.

Dernièrement, et afin de colmater les brèches, le gouvernement a communiqué sur l’éligibilité des salariés suspendus au RSA.

Il convient ainsi de s’interroger sur la pertinence des choix politiques utilisés au plus haut niveau de l’Etat, choix politiques qui se résument à faire peser sur l’aide sociale la prise en charge des salariés non vaccinés, au lieu de maintenir des dispositifs efficaces, notamment la mise en œuvre de tests réguliers sur les salariés – ou encore le reclassement dans des emplois sans contact avec le public.

Le dernier opus de l’état d’urgence sanitaire aura donc eu raison des principes fondamentaux du droit du travail.

Kévin CHARRIER, Avocat

François CHOMARD, Avocat