Rupture du crédit : le formalisme ne dispense pas la banque de la loyauté

Une banque est susceptible d’engager sa responsabilité pour rupture abusive de son concours à durée indéterminée, quand bien même le formalisme légal prévu à l’article L.313-12 du code monétaire et financier aurait été respecté.

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La liberté contractuelle protège le droit de contracter ou de ne pas contracter. En principe, une banque est libre de résilier unilatéralement et à tout moment un concours bancaire qu’elle a octroyé à une entreprise pour une durée indéterminée (ex : autorisation de découvert).

Sans revenir sur ce droit, le législateur a voulu contraindre les établissements de crédit à respecter des formes et délais pour protéger le débiteur contre une rupture ou une réduction abusive du concours bancaire octroyé à durée indéterminée.

En effet, l’admission d’une rupture unilatérale d’un crédit consenti à une entreprise est susceptible d’avoir des répercussions très graves : si l’entreprise bénéficiaire connaît déjà certaines difficultés financières, une rupture brutale pourrait les aggraver, voire entraîner l’ouverture d’une procédure collective.

Ainsi, à l’évocation de la notion de rupture abusive d’un concours indéterminé est souvent soulevé l’article L.313-12 du code monétaire et financier (I).

Mais le seul respect du formalisme exigé par ledit article ne suffit pas forcément à écarter le caractère abusif de la rupture d’un crédit : la banque doit également respecter les conditions du droit commun contractuel, et notamment adopter un comportement loyal (II).

I. La rupture abusive à l’aune du droit spécial

L’article L. 313-12 du code monétaire et financier exige des établissements de crédit et des sociétés de financement un formalisme strict (A), ainsi qu’une transparence sur les motifs de la rupture (B).  A défaut, la rupture du crédit peut être qualifiée d’abusive.

A noter au préalable que ledit article s’applique aux concours autres qu’occasionnels. Il résulte que les facilités de caisse ponctuelles ne rentrent pas dans le champ d’application de ces dispositions : la banque pourra se dispenser du formalisme exigé par l’article L. 313-12 du code monétaire et financier dans ce cas. Cependant, en cas de réitération des facilités de caisse[1], ou d’une durée particulièrement longue des positions débitrices en découlant[2] sans réaction du banquier[3], le juge pourra considérer l’existence d’une ouverture de crédit tacite[4] et ainsi, faire application de l’article L.313-12.

A.    La banque doit respecter un formalisme strict

a)             L’envoi d’une notification faisant courir un préavis minimal de 60 jours

Qu’il s’agisse d’une réduction ou d’une interruption du concours bancaire, l’article L.313-12 du code monétaire et financier contraint la banque à :

  • notifier au débiteur sa décision par écrit ;
  • respecter un préavis minimal de 60 jours pour lui permettre de trouver d’autres alternatives de financement.

La Cour de cassation refuse systématiquement toute adaptation à la hausse de ce délai de préavis, qu’il s’agisse de tenir compte de la situation financière de la société[5], de l’état de santé du gérant[6] ou encore de la relation particulière entretenue avec la banque[7].

Il n’est pas non plus possible de contourner ce délai légal en évoquant l’article L.442-6, I 5 du code de commerce, relatif à la rupture des relations commerciales établies[8].

Seul un préavis contractuel plus long pourrait faire obstacle à l’application du préavis légal.

b)             Cas de dispense du délai de préavis

La banque n’est pas tenue de respecter ce délai de préavis minimal de 60 jours dans deux cas précis prévus par la loi :

  • En cas de comportement gravement répréhensible du bénéficiaire du crédit

Cela suppose que l’emprunteur ait eu un comportement d’une gravité telle que le lien de confiance qu’il entretenait avec la banque a été rompu[9].

Par exemple :

  • L’emprunteur a commis une infraction pénale[10] ;
  • Il a dépassé de manière importante et durable le crédit accordé[11] ;
  • Il est à l’origine de flux financiers anormaux[12].
  • En cas de situation irrémédiablement compromise du bénéficiaire du crédit

Cela suppose que l’emprunteur soit dans une situation financière désespérée, qu’il soit voué à la liquidation judiciaire, ou à tout le moins à un redressement judiciaire avec plan de redressement[13].

A noter que, dans ces deux situations, la banque ne peut se dispenser que du préavis : l’exigence de notification est maintenue[14], et il doit en être de même de l’obligation de motivation à sa charge, évoquée ci-dessous.

B.     La banque doit motiver sa décision de rupture

L’article L.313-12 du code monétaire et financier contraint la banque à justifier sa décision de réduction ou d’interruption de son concours, à la seule demande de l’emprunteur.

La loi n’enferme pas cette obligation de motivation dans une limite temporelle : la jurisprudence a donc récemment retenu que le bénéficiaire du crédit était en droit de solliciter de la banque ses motifs de rupture pendant la durée du préavis légal, et même au-delà[15].

Il s’agit là d’une disposition particulière, puisque la liberté contractuelle voudrait en principe que la banque n’ait pas à expliquer sa décision de résilier le crédit.

Il ne peut qu’être conseillé au chef d’entreprise de requérir systématiquement les explications de son établissement de crédit relatives à la rupture du concours bancaire, si celles-ci ne sont pas déjà indiquées dans le courrier de notification.

La seule absence de réponse de la banque permet de qualifier d’abusive la rupture du crédit. Il restera cependant à déterminer le préjudice subi par l’emprunteur dans cette situation précise, l’octroi d’un montant forfaitaire de dommages et intérêts étant écarté[16].

Enfin, au travers de cette disposition favorable au débiteur, le législateur semble vouloir rééquilibrer le rapport de force entre l’établissement de crédit et l’emprunteur, en inversant la charge de la preuve relative à la bonne foi du cocontractant : sur demande du débiteur, la banque doit en effet justifier de ses motifs et de leur légitimité, soit indirectement de sa bonne foi.

Cela n’est pas sans lien avec les exigences du droit commun.

II. La rupture abusive à l’aune du droit commun

A.    La banque doit adopter un comportement loyal

L’article 1104 du code civil impose une obligation générale de loyauté et de bonne foi à tout cocontractant.

Cette obligation s’applique à tout type de contrat, y compris les concours bancaires et conventions de crédit.

La banque, comme n’importe quel cocontractant, doit donc se montrer loyale et de bonne foi envers l’emprunteur.

Par conséquent, les juges du fond n’hésitent pas à qualifier d’abusive la rupture d’un concours bancaire, au motif que la banque aurait adopté un comportement déloyal.

A titre d’exemple, par un arrêt du 17 janvier 2022, la Cour d’appel de Bordeaux a retenu l’abus de droit dans un dossier où la banque avait prétendu justifier la rupture de son concours pour des incidents minimes [17] :

« Il n’en demeure pas moins que la décision de la Banque Populaire Aquitaine Centre Atlantique de supprimer l’autorisation consentie en 2015, alors qu’aucun incident, hormis, plus de deux mois auparavant, un dépassement minime pour un temps très limité, n’avait été à déplorer sur une période de plus de deux ans, sans donner d’autres motif que celui, erroné, d’un ‘fonctionnement anormal’ du compte, démontre un comportement déloyal, constituant une faute engageant la responsabilité de la banque, l’abus de droit étant caractérisé. »

Dans son arrêt du 26 janvier 2010[18], la Haute Cour a confirmé qu’une banque pouvait engager sa responsabilité, quand bien même le formalisme légal de l’article L.313-12 du code monétaire et financier aurait été respecté, en cas d’abus de son droit de rompre le crédit :

  • Soit, lorsque le banquier a procédé d’un motif illégitime ;
  • Soit, lorsqu’il a procédé d’une volonté de nuire.

Ainsi, si le prêteur ne peut rompre comme bon lui semble son concours, la limite à cette liberté se trouve dans l’abus de droit, lequel peut être défini comme « une faute consistant à exercer son droit sans intérêt pour soi-même et dans le seul dessein de nuire à autrui, ou suivant un autre critère à l’exercer en méconnaissance de ses devoirs sociaux »[19].

B.     La fraude corrompt tout, y compris la rupture d’un crédit

Dans un jugement du 10 juin 2016, le Tribunal d’instance de Strasbourg s’est penché sur la question de l’attitude frauduleuse d’un établissement de crédit consistant, sans le dire, à servir les intérêts d’un tiers[20].

Dans ce cas d’espèce, une société faisait valoir que les relations contractuelles avec sa banque duraient depuis plus de quinze ans et qu’elle avait toujours disposé de découverts en compte courant. Or, d’après elle, l’établissement de crédit aurait changé brusquement son attitude afin de complaire à un autre de ses clients, avec lequel la société était en conflit.

Dans son jugement du 10 juin 2016, le Tribunal de Strasbourg a estimé que la banque se trouvait dans une situation de conflit d’intérêts en raison du litige existant entre deux de ses clients, « la résistance du locataire à quitter les locaux commerciaux retardant la réalisation du projet immobilier du bailleur la SARL Y, et ce alors que les intérêts de la banque A en balance n’étaient nullement équivalents (encours de 30.000 € d’un côté, de 1.050.000 € de l’autre) »[21].

Au constat d’une attitude empreinte de l’intention de nuire, le Tribunal de Strasbourg a jugé que la dénonciation du concours bancaire « apparaît non seulement fautive, mais en réalité frauduleuse, car visant à priver la SARL X de ses facilités de caisse, sans faute de sa part, et ainsi amoindrir ses capacités de résister au projet de la SARL Y à laquelle elle s’opposait », et annulé la dénonciation du concours bancaire pour fraude.

Enfin, il sera ici constaté que l’inapplicabilité au cas de rupture du crédit de l’article L.650-1 du code de commerce, lequel prévoit que « lorsqu’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d’immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci », n’est pas à regretter.

En effet, les cas de fraude peuvent toujours engager la responsabilité du banquier lors de la rupture du crédit, par la seule application des dispositions du droit commun. De manière générale, le comportement déloyal de la banque lors de la rupture du crédit implique toujours la responsabilité de la banque, à condition de pouvoir prouver un lien de causalité avec le préjudice subi par l’emprunteur.

Pour conclure, si le code monétaire et financier encadre la rupture des concours à durée indéterminée à l’initiative des établissements bancaires, les règles générales du droit commun ne doivent pas pour autant être négligées, l’attitude d’une banque pouvant être fautive au-delà du seul respect du formalisme légal spécial.

Bernard RINEAU, Avocat associé

Charlotte QUILLIER, Avocat


[1] CA Nancy, 22 juin 2011, n°09/02782

[2] CA Paris, 31 janvier 1991, n°91/6285

[3] Com., 19 juin 2007, n°06-11.065

[4] Com., 16 janvier 1990, n°88-14.883

[5] Cass. Com., 28 février 2018, n°16-19.136

[6] CA Colmar, 1ère Civ., section A, 16 novembre 2020, n°18/03742

[7] Cass. Com., 23 septembre 2014, n°13-19.683

[8] Cass. Com., 25 octobre 2017, n°16-16.839

[9]J-L Rives-Lane, La rupture immédiate d’un concours bancaire

[10] Cass. Com., 13 décembre 2016, n°14-17.410

[11] CA Bordeaux, 28 janvier 2021, n°18/02524

[12] CA Montpellier, 3 avril 2018, n°16/00821

[13] CA Reims, 26 juin 2018, n°17/019811

[14] Cass. Com., 18 mars 2014, 12-29.583

[15] Cass.Com., 30 novembre 2022, n°21-17.703

[16] Cass.Com., 30 novembre 2022, n°21-17.703

[17] CA Bordeaux, 17 janvier 2022, n°19/001359

[18] Cass.Com., 26 janvier 2010, n°09-65.086

[19] Cornu G., Vocabulaire juridique, 7e éd., 2005, PUF, p.6

[20] TI Strasbourg 10.06.2016 n°11-15.001132

[21] Gazette du palais « Rupture de crédit à une entreprise : le respect du formalisme légal ne suffit pas forcément » : l’essentiel Banque du 11.10.2016 n°35 : TI Strasbourg 10.06.2016 n°11-15.001132